Depuis Boulifa jusqu'à Younès Adli, en passant par Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri, cette quête du verbe n'a pas cessé de passionner plus d'un auteur. Dans la région de Kabylie, la poésie a été et demeure le moyen de communication le plus en vogue et le plus efficace. L'absence quasi totale de culture écrite a fait que les poètes ont pris une place des plus importantes au sein de la société. Quand bien même avec le temps, les noms des poètes finissent par tomber dans l'anonymat, ce qu'ils ont clamé comme vers sont souvent retrouvés au beau milieu des discussions. Des vers qui deviennent ainsi des citations ou carrément des proverbes qui résument ce que mille explications sont incapables de faire. Recueillir ces poèmes et les attribuer à un auteur selon des critères objectifs ou subjectifs est devenu la passion de bon nombre d'auteurs de la région de Kabylie. Depuis Boulifa jusqu'à Younès Adli, en passant par Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri, cette quête des mots n'a pas cessé d'attirer plus d'un auteur. Le dernier en date est le livre que vient d'éditer Mustapha Bentahar. Ce dernier n'était pourtant pas destiné à ce genre de travaux. L'auteur est né en 1958 à Mechtras, dans la région de Boghni. Il n'est pas anthropologue de formation mais médecin. Ce qui l'a mené à publier cet ouvrage, c'est le fait qu'il soit inspiré par la poésie depuis son jeune âge. Il a écrit d'abord des poèmes sous le pseudonyme Youcef Nath Si El Hocine, puis il a commencé à effectuer des recherches sur le patrimoine poétique de la région. C'est ainsi qu'il découvrit la richesse du recueil du poète Ali n'Bouarour. Il décida alors de le faire sortir de l'oubli et de l'anonymat. Pour la réalisation de ce recueil, Mustapha Bentahar a eu le privilège d'avoir été soutenu par le chercheur Youcef Necib qui est une référence en la matière. L'auteur le remercie d'ailleurs de l'avoir aidé à traduire les poèmes en langue française. Mais d'abord qui est Ali n'Bouarour? Harbit, son patronyme, était celui d'une famille notoire de Mechtras, dans la vallée septentrionale, parallèle à la chaîne du Djur-djura, entre les localités de Boghni et des Ouadhias. La collectivité, précise Mustapha Bentahar, le connaissait non pas sous ce nom attribué par l'état civil français mais sous celui du lignage: Ali n'Saïd Ouamar. Le poète est né en 1879 à Mechtras. Il était un féru de musique dès l'enfance. Il finit par trouver le chemin de sa vocation musicale et poétique dans le métier de poète tambourineur. «Profession prisée jadis car Adebbal était l'animateur le plus recherché des fêtes, celles du mariage et de la circoncision des garçons dont lui-même était le praticien», précise Mustapha Bentahar. Un peu à l'image de Si Mohand Ou Mhand, Ali n'Bouarour était un poète libre et bohémien. Un jour, raconte l'auteur, le poète s'est ruiné et perdit jusqu'à son burnous dans les jeux de hasard au marché de la localité de Boghni. Mustapha Bentahar souligne par ailleurs que les poèmes de Ali n'Bouarour sont bien personnalisés car il cite son propre prénom, des noms de régions limitrophes, des faits historiques qu'il a lui-même vécus comme la guerre 1914-18. Sa renommée le mène jusqu'à animer un gala à Tunis où il composa un poème dans lequel il cite son village Mechtras. La vie de Ali n'Bouarour finira mal puisqu'il sera atteint d'une maladie mentale qui fera qu'il cesse d'animer les fêtes. Avant cela, il provoqua un scandale en composant un poème sur une jolie fille d'une région de Kabylie, poème qu'il déclama dans plusieurs fêtes en citant le nom du village en question. Ce qui déplut bien entendu aux habitants du village cité. Outrés, ces derniers maudirent l'aède. Selon l'auteur, le visionnaire Sidi Ali Oulhadj lui prédit qu'il devait mourir un jour de mauvais temps avec une tempête et un glissement de terrain. Il mourut le 29 janvier 1929 par un temps glacial avec une neige qui atteignait par endroits trois mètres d'épaisseur. Il fut impossible de l'enterrer au cimetière. Pour cela, il fut inhumé à l'intérieur de sa maison. Il avait cinquante ans.