La jeunesse algérienne est aujourd'hui prête à écouter la vérité sur ce qui s'est réellement passé entre 54 et 62. Mahfoud Kaddache, qui est un des plus grands chercheurs et historiens algériens, auteur de plusieurs ouvrages, dont deux sont actuellement en vente, a longtemps ramé à contre-courant en soutenant que l'écriture de l'histoire est avant tout une science, qui ne doit s'encombrer d'aucune autre considération. Or les dirigeants et le peuple, après juillet 62, «ont sacralisé la Guerre de libération nationale», si bien qu'il devenait impossible d'effectuer quelque travail critique sur cette époque sans s'attirer les foudres des décideurs du moment. Mahfoud Kaddache indique qu'aujourd'hui, «la jeunesse algérienne est prête à connaître la vérité sur tout ce qui s'est passé durant la Guerre de libération nationale». Sur ce plan-là, Kaddache est formel: «Même s'il y a eu des abus et des choses pas très jolies à raconter, la grandeur et l'importance de notre révolution dépasse de loin tout cela par son héroïsme et le grand engagement moral et physique de ceux qui l'ont menée». Du temps de Boumediene, raconte-t-il, «il était impensable de tenter quelque étude critique». Il ajoute que cet ancien président «voulait une histoire dépouillée de ses personnages afin que nul ne vienne lui faire de l'ombre». C'est ainsi qu'un homme comme Messali, à qui l'Algérie doit la naissance et la progression de son mouvement nationaliste a été totalement occulté en même temps que le PPA. Il eut pourtant été plus facile de parler de cet homme avec ses deux phases d'avant et d'après 53. Car, selon Kaddache, chaque homme a dans sa vie des phases de courage et d'autres de lâcheté. Mais, se désole Mahfoud Kaddache, même si la société algérienne est assez mûre pour affronter son histoire non grimée, les «vieux réflexes continuent d'avoir la vie très dure». En effet, explique-t-il à titre d'exemple, «très peu de travaux de recherche ont été faits autour du nombre de nos martyrs. Celui-ci varie entre 300.000 et 1,5 million. Mais c'est ce dernier chiffre qui continue de faire autorité, de constituer la seule référence et d'être enseigné dans tous les manuels scolaires du pays». En réponse à notre question sur le fait que même la France refuse d'assumer son passé en refusant de juger ses tortionnaires et en reconnaissant «la Guerre d'Algérie » que depuis à peine deux années, Mahfoud Kaddache a maintenu que «notre société est mûre pour affronter toutes les réalités historiques». Keddache insiste aussi pour parler de la «rareté des documents historiques», plus fournis au demeurant, en France. Cela même si beaucoup d'acteurs ont commencé à témoigner et à écrire à leur tour des livres. Selon lui, beaucoup d'acteurs «gardent ces documents comme garantie et pour s'en servir éventuellement». Preuve, en effet, que la Guerre de libération ne devait pas être tout à fait ce qu'on nous racontait, et continue de le faire, dans les manuels scolaires.