Dans notre pays, le patriotisme est un grain qui pousse et repousse dans les générations depuis la Numidie jusqu'à la fin des temps. A M. Guillaume Denoix de Saint-Marc, Directeur général de l'association française des victimes du terrorisme. Monsieur, vous êtes l'organisateur du VIIe Congrès international des victimes du terrorisme, fixé aux 15, 16 et 17 septembre 2011 à Paris. C'est à ce titre que l'Association nationale des anciens condamnés à mort, par la France coloniale, tient à vous adresser cette lettre ouverte, pour vous faire part de sa réaction quant aux orientations, au contenu, aux objectifs et à la qualité des participants et des membres du comité d'honneur de ce Congrès. Nous nous apprêtions à vous féliciter pour cette initiative et à reconnaître ce rassemblement comme un grand événement dans la lutte des peuples contre le terrorisme comme a été hier cette même lutte des peuples contre le colonialisme. Hélas! les orientations, la qualité des participants et des invités et des objectifs inavoués que votre programme révèle ont vite alerté notre vigilance. Monsieur le Directeur général, l'introduction de votre programme nous révèle déjà de graves anomalies que nous ne pouvons accepter: 1) Vous ne prenez en compte et d'une manière unilatérale que la définition bien européenne du terrorisme, en sachant qu'elle est rejetée par l'écrasante majorité des peuples du monde. 2) Votre amalgame vise à remettre en cause le droit des peuples à la lutte armée, pour le recouvrement de leur indépendance avec l'arrière-pensée de conforter les Etats colonialistes qui pratiquent le terrorisme contre les peuples qui luttent pour leur indépendance. 3) Où voulez-vous en venir en citant la guerre de Libération de notre pays et en invitant une victime civile du Milk Bar?! N'est-ce pas là une manoeuvre de plus, une provocation et une tentative encore de falsifier et souiller l'histoire de la longue lutte de notre peuple contre le colonialisme? 4) Nous n'avons pas encore oublié le fameux article 04 de la loi de février 2005 qui réhabilitait, sans honte, le colonialisme, ses crimes et ses méfaits, en oubliant que ce fléau a été condamné irrévocablement par l'Histoire et l'humanité entière, comme le furent, avant lui, l'esclavage et le féodalisme qui ont sévi sur le monde des siècles durant. 5) Quand est-ce que les nostalgiques de l'Algérie française comprendront que l'Algérie est définitivement libérée de l'occupation coloniale française, comme la France s'est définitivement libérée de l'occupation allemande? Que les nostalgiques de l'Algérie française, comprennent, une bonne fois pour toutes, que ce n'est pas l'Algérie qui a occupé la France par la force des armes mais c'est cette dernière qui a occupé notre pays par la force des armes. Vous avez occupé notre pays par la force, nous l'avons libéré par la force. Point. 6) La résistance des Algériens contre l'occupation française est aussi légitime que la résistance française contre l'occupation allemande. Je suis un résistant, ancien condamné à mort, rescapé de la guillotine qui a séjourné durant 03 ans dans le couloir de la mort de la prison de Fort Mont-Luc à Lyon. En face de ma cellule, il y avait celle où avait séjourné Jean Moulin que je respecte beaucoup comme un grand résistant contre l'occupation allemande (est-il aussi un terroriste?). Aussi, nous condamnons vigoureusement tous ceux qui considèrent les combattants pour la libération de notre pays comme des terroristes. 7) En invitant à témoigner une victime civile du Milk Bar, que cherche-t-on à prouver? et pourquoi avoir oublié les représentants des 45.000 victimes du massacre du 8 Mai 1945, les victimes des centaines de villages bombardés au napalm par les B52 de l'armée française, les victimes des bombes nucléaires au Sahara, les familles des milliers de victimes liquidées, sans aucune forme de procès, les victimes des bombardements de Sakiet Sidi Youssef où ont péri des centaines de civils algériens et tunisiens et enfin les familles des 217 prisonniers de guerre assassinés par la guillotine entre 1956 et 1962? 8)Est-ce que les victimes du terrorisme d'Etat de Sabra et Chatila et de Ghaza ont été invitées à ce Congrès placé sous le haut patronage de M. Sarkozy, président de la République française. Est-ce que les hauts personnages politiques qui composent le comité d'honneur, à charge d'encadrer ce Congrès, sont tous d'accord avec les orientations et les objectifs que fixe votre programme? 9)Est-ce que vous avez pensé à faire participer les victimes de l'OAS? Cette organisation criminelle qui a assassiné des Algériens et des Français, sans distinction, allant jusqu'à commettre plusieurs attentats contre le président de la République française de l'époque? 10)Cet événement qui se donne une dimension internationale est loin d'être rassembleur. Il va à l'encontre de tous les efforts déployés par notre pays et beaucoup d'autres, à travers le monde, pour renforcer la solidarité agissante des peuples dans la lutte contre le terrorisme. 11) Monsieur le Directeur général, nous dénonçons, encore une fois, toutes ces manoeuvres et ces provocations contre notre pays qui reviennent d'une manière cyclique et à l'approche de chaque campagne électorale, en France. L'Algérie est devenue un sel de table pour certains politiques français. Ils réveillent la haine et la rancoeur des ultras et des nostalgiques de l'Algérie française pour grignoter malhonnêtement quelques voix de plus aux élections. Pour toutes ces raisons, nous soutenons les associations algériennes qui ont décidé de boycotter ce Congrès en les félicitant pour leur vigilance. Nous appelons, par ailleurs, la société civile et la classe politique de notre pays à réagir, dénoncer et condamner ces manoeuvres et ces tentatives qui portent atteinte encore une fois à notre Révolution et à la dignité de notre peuple. Nous appelons aussi les sociétés civiles maghrébine, africaine et arabe à réagir, de leur côté, contre l'amalgame entretenu et les objectifs tendancieux et provocateurs que s'est assignés ce Congrès. Nous appelons aussi tous les Français et Françaises désireux que s'établisse une véritable coopération d'égal à égal entre nos deux peuples et nos deux Etats, de se prononcer contre cet extrémisme qui se développe en France contre les Algériens particulièrement. Dans notre pays, le patriotisme est un grain qui pousse et repousse dans les générations depuis la Numidie jusqu'à la fin des temps. (*) Président de l'Association nationale des anciens condamnés à mort 1954-1962