C'était vraiment le pas dans l'inconnu qu'il fallait franchir coûte que coûte pour entamer la grande aventure de la vie à la conquête du savoir. Le premier jour de l'école pour les tout petits était un événement exceptionnel que nul ne saurait décrire avec de simples mots. On se rappelle aujourd'hui encore, avec la «chair de poule» en sus, de l'émotion, des pleurs, des quolibets des «anciens», la séparation avec la maman... Enfin, c'était vraiment le pas vers l'inconnu qu'il fallait franchir coûte que coûte pour entamer la grande aventure de la vie à la conquête du savoir. Tel un petit soldat de plomb, l'écolier algérien était nippé comme le jour de l'Aïd, hélas! pour une infime minorité d'entre eux seulement. Bien sûr, les citadins qui avaient la chance et encore pas tous, de fréquenter l'école en même temps que les enfants «pieds-noirs». Mais jamais ensemble cependant. C'était l'époque des culottes courtes à l'école, du tablier noir bordé du haut vers le bas, quelquefois d'un passement rouge. Certains avaient le nom et prénom tissés à même le tablier sur lequel ne manquait que le numéro de «forçat» pour ces pauvres écoliers «indigènes» qui ne connaissaient ni leur nom, ni comprenaient le français pour pouvoir répondre. Les plus nantis (ça existait) étaient chaussés de bottines souvent noires, bien cirées en ce premier jour, laissant apparaître des socquettes blanches, synonyme de propreté. Comme des petits soldats donc, ces petits écoliers arboraient même un «cartable» très souvent confectionné «at home» d'un épais tissu, orné de deux anses solidement cousues. Sans pochettes adjointes, ni deuxième compartiment, ni aucun autre signe distinctif qui auraient pu lui donner un certain air «chic» pour ressembler à un vrai cartable. Une intrusion visuelle pouvait nous renseigner sur le contenu de ce «sac» tant convoité. Rapide, ne peut qu'être ce recensement. Une ardoise à deux faces, l'une unie et l'autre à carreaux, une éponge quelquefois mise dans une boite métallique pour ne pas répandre l'humidité, un morceau de craie blanche, un crayon d'ardoise, un cahier de 45 pages, juste pour faire bien, car le cahier n'étant guère utilisé lors des premières semaines ou mois de la nouvelle année scolaire qui débute. Ceux qui avaient des aînés qui avaient eu la chance de fréquenter «l'Ecole», pouvaient prétendre à une ou deux plumes «Sergent Major», dans leur attirail scolaire qui accompliront à merveille les «plein et déliés» lors des leçons d'écriture qu'affectionnaient les instituteurs en ce temps-là. D'autres arboraient des plumiers, une sorte de trousse en bois, et aussi, à deux compartiments parfois, qui contenaient des crayons noir et de couleur, gomme et taille-crayon. Un flacon d'encre violette avec des buvards servant d'excellents supports à des publicités commerciales visant surtout ces catégories d'âge, accompagnaient ces premiers outils amoureusement rangés dans cette boîte. C'était l'ancêtre de la trousse en cuir qu'ils possèderont plus tard au lycée ou au cours complémentaire. Les surveillants et instituteurs, ces «maîtres» ou «maîtresses» comme on les appelait autrefois, avaient du mal à canaliser ces dizaines de mioches piaffant d'impatience malgré le «trac» qui les entourait, et de dépaysement dans ce nouveau décor sonore et plein de couleurs. Manquait à cette ambiance la mixité que connaissaient certaines écoles de quartier où le manque d'infrastructures scolaires imposait cette proximité. Toutefois, se rappellent «ces vieux jeunes écoliers», les écoles mixtes étaient rares, voire inexistantes, dans les quartiers dits «arabes» de la capitale. La présence de fillettes dans les écoles mixtes donnaient un autre ton à cette foule bigarrée. Ces écolières «en jupons» ramenaient déjà avec elles les chants et danses qui avaient animé leur tendre «enfance» préscolaire. La solidarité féminine prenait d'ores et déjà le dessus pour se regrouper entre elles et reproduire la société adulte de l'époque, visible encore aujourd'hui, qui vivait son genre, chacun de son côté. Les vendeurs de friandises étaient nombreux autour des écoles. Ils proposaient des sucres d'orge ou des mandarines enrobées au caramel rouge vif, les barbes à papa étant encore inconnues, sinon fort rares à l'époque, ou encore toutes sortes de bonbons non conditionnés sans oublier les cacahuètes... Des marchands proposaient de la «carantita», recette importée d'Espagne et qui est faite à base de farine de pois chiches secs... ou encore des pois chiches cuits précédemment à l'eau et assaisonnés légèrement de cumin avant d'être vendus dans des cornets de fortune en papier souvent imprimé... Tout cela a disparu de nos jours. Quelle belle époque!