Elle dit ne pas être concernée par les prix mais seulement par l'amour de ses lecteurs, leur avis et notamment de sa ville Montpellier jusqu'à s'y fondre avec les habitants et gagner leur confiance bien que habitée par l'Algérie. Elle, l'électron libre, parfois controversée mais digne et irrévérencieuse. Après son audacieux Mes Hommes sorti en 2005, elle nous vient avec un nouveau roman qui sent l'iode, le soufre, la drogue mais aussi la chaleur de l'amour et du soleil de son passé. Un roman qui prête au road movie et prend l'allure d'un polar sur fond d'une brisure d'amour, entre braise et brise marine. Un roman édifiant qui vous prend telle une vague au vent et vous tournoie avec légèreté, un condensé de passion tel qu'est Malika Mokkedem, une femme férue de vie non sans quelques pointes de gravité, mue d'un espoir du forcené... La Désirante fera l'objet de la vente-dédicace aujourd'hui à 14h, au stand Casbah. L'Expression: Un mot sur votre présence cette année au Sila... Je viens d'arriver et je suis très contente d'être là. La preuve, dès mon arrivée j'ai été happée par les gens qui viennent me saluer et m'embrasser, je suis heureuse rien que pour ça. Votre êtes là pour présenter votre nouveau roman, La Désirante... Oui, il est sorti aux éditions Casbah. C'est mon deuxième roman de navigatrice. Casbah Editions a voulu le sortir en Algérie. La Désirante est bien un titre intrigant. Pourquoi ce voyage en mer qui fait resurgir des ombres du passé? On sent fortement une part de vous-même qui imprègne ce roman... On écrit toujours avec ce qu'on est et ce qu'on connaît. J'avais déjà écrit un premier roman de navigatrice, lequel s'appelle N'zid et qui avait paru aux éditions du Seuil. J'ai navigué pendant longtemps donc je connais la Méditerranée et la voile parfaitement. Je ne sais si vous avez lu mon roman Je dois tout à ton oubli. Qui était un roman assez difficile et douloureux. Avec celui-ci j'avais envie de prendre la mer et partir dans une histoire d'amour forte en ayant comme thème la disparition avec ce quelle révèle d'un amour et de soi. A ce moment, la disparition de quelqu'un qu'on aime beaucoup, quel qu'il soit vous dépouille, on est un peu ébranlé et mis à nu. Dans cette mise à nu, il y a des choses de nous-mêmes qui remontent à la surface de loin et viennent habiter cette disparition et c'était le thème que j'avais envie d'aborder. Une partie du roman se passe en Tunisie. J'avais envie d'aborder, moi la fille du désert, tous les trafics qui se passent dans le désert, toutes les mafias dont celle des GPS de portables qui se transforment en transporteurs de drogue, d'armes, etc. et toutes les connexions entre ces différentes mafias et les intégristes et quelques généraux ripoux. J'avais envie d'aborder tous ces thèmes-là, sans en vouloir faire un essai, juste aborder l'histoire du Para comme trame. Mais l'axe du roman, c'est la disparition d'un homme et la fille qui prend la mer pour la première fois seule pour suivre ses traces. Vos livres suscitent parfois des polémiques, notamment au niveau de la traduction vers l'arabe comme ce fut le cas avec Mes Hommes. La langue arabe! Vous savez ce qu'on lui a fait? On l'a embrigadée. Vous savez, les dernières traductions qui m'ont été faites notamment de mes livres comme La Transe des insoumis, Des Hommes qui marchent ont été faites d'abord, par le Maroc. Vous savez, un auteur plus il est traduit, encore pour moi qui est amputée de la langue arabe - je parle dardja mais ne l'écrit pas -, j'ai besoin-o combien-de toucher le peuple du Sud. Je suis une optimiste forcenée, je sais que cela va venir. Il y a des ouvrages qui ont fait l'objet d'une coédition entre l'Algérie et le Liban,. Je viens de prendre un nouvel éditeur alors je pense voir cela à long terme avec lui. Evidemment que cela me tient à coeur que mes livres soient traduits en arabe. Pensez-vous vous rendre à Kenadsa? Non, je ne pense pas. J'ai cinq jours pleins ici au salon, sinon après, j'ai tous les salons en automne en France à faire. Le Maghreb des livres à Paris se tient en février et effectivement l'Algérie y sera, je pense, en force et cela en raison de la célébration du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Mais je viens parfois incognito pour prendre la température. Si vous avez lu mes textes vous avez compris que ma famille du désert c'est quelque chose de douloureux, la rupture s'est installée. En revanche, ma vraie famille est une famille d'adoption, ce sont des amies, une amitié très forte me lie à elles. Celles d'Alger que j'ai connues ont quitté l'Algérie dans les années 90 comme Christiane Achour ou Dalila Morsly et les autres; celles d'Oran sont restées et pour moi c'est là ou je viens me ressourcer. Avant que je vienne les voir, on se programme toujours un tour quelque part, soit on part dans le désert mais alors plus loin que ma région, soit dans les Hauts-Plateaux. La dernière fois, en novembre dernier j'avais fini les corrections de La Désirante et j'ai éprouvé le besoin toute suite de venir en Algérie... Parmi mes amis en France il y a Maïssa Bey, Bouelam Sansal, etc, mais on n'est pas dans le communautarisme des écrivains en France. Je ne cherche pas à créer un groupe. Par contre, ma propre écriture est chevillée à ce pays. Après des journées d'écriture, je ne peux pas lire, je passe par le cinéma pour désamorcer cette partie accro à la page et c'est au retour seulement que je peux lire. Comme lectrice j'ai besoin de découvrir, de l'ailleurs, des écrivains avec des univers totalement différents de moi pour ne pas me fermer sur moi-même. Malika, en tant que femme écrivaine vous avez réussi à vous imposer en France. Comment percevez-vous la situation des femmes actuellement en Algérie avec votre regard extérieur? Avez-vous entendu parler de cette fille en short qui a failli être lynchée en plein centre-ville d'Alger... Cela est récurrent dans notre histoire. C'est malheureux. Je vous avais dit en novembre dernier que je suis allée au Centre, en Algérie, un endroit où je n'étais pas allé il y a longtemps. D'Oran on est parti à Boussaâda et puis dans le M'zab. Ce qui m'a profondément meurtri, il n'y a pas d'autre mot et cela m'a fait très mal, est l'urbanisme. Je vis loin et j'ai beau être prévenue, il y a des choses qui heurtent votre sensibilité, ce sont la déflagration des villes et leur état d'urbanisme en dehors de tout bon sens. Tous les abords des villes sont des décharges publiques à ciel ouvert. Pour un pays riche comme l'Algérie je trouve cela désastreux et au fur et à mesure que je m'approche des gens et que je discute avec eux je constate la bigoterie: l'Algérie est devenu bigote. Une servilité au nom de l'Islam que je ne connaissais pas. Tout devient «hram». Et ça c'est pesant et ça sonne faux. Cela n'est pas notre identité. Cela n'a pas fait partie de notre histoire, et même si cela a été le cas, le monde avance. En dehors de certaines villes comme Alger où il reste des choses bien, le reste du pays est en recul de façon terrible. Je suis partie sur ce constat effrayant. Pour oublier cette chose terrible, je me suis mise à écrire et heureusement il y a eu le Printemps arabe qui a commencé et qui redonne de l'espoir. Pensez-vous qu'il va faire améliorer le statut de la femme ce Printemps arabe? Oui. Il faut avoir bien observé les revendications. C'était «dignité» et «liberté». Les mots d'ordre ne provenant pas des religieux, évidemment les mouvements laïques et démocratiques ne sont pas structurés. Les seuls structurés sont les islamistes. Ils se sont structurés contre l'Etat qui les a aidés à être forts d'une part et d'autre part en les combattant, on les a aidés à être forts contre un adversaire. Ce n'est pas le cas des démocrates et cela n' a jamais été le cas. A côté de cela, si ces mouvements étaient populaires cela n'a pas de leaders, c'est vraiment une lame de fond qui a fait la différence et quand une lame de fond, tout un peu peuple qui petit à petit se dresse, c'est inouï! C'est magnifique et pour moi, c'est quelque chose d'irréversible. Les islamistes seront là, un peu en Tunisie, davantage peut-être en Egypte mais ils ne pourront pas gouverner avec la charia comme cela a été auparavant. Je me dis qu'au pire des cas, ils feront ce que fait le Front national en France où les mouvements d'extrême droite ont tendance à se calquer sur l'AKP de Turquie en se déguisant en musulmans modérés. Les revendications des révolutions du Printemps arabe c'est bien une demande de liberté, de dignité et d'égalité. En Libye ce n'est pas pareil... Qui aurait pu croire qu'un jour les Libyens allaient se libérer, on ne les connaissait même pas. Et contre cette excroissance montreuse qu'est El Gueddafi, on ne connaissait que lui et pas son peuple, ni comment il parlait. Eh bien, même là ça émarge. ça ne peut faire que peur ou au moins ça donne à réfléchir aux régimes dictatoriaux, que l'ère des indépendances confisquées c'est terminé. Les peuples arabes ne sont pas condamnés à une religion sclérosée, que la foi est une richesse individuelle, que les gens peuvent vivre à leur façon, que tout être qu'il soit arabe ou pas aspire à mieux vivre, à avoir accès au savoir, à la liberté pour laquelle sont mort leurs parents ou arrière-grands parents. Ce que je pense est que ces régimes là seront obligés de lâcher du lest et les plus intelligents le feront petit à petit. Mais il y a des choses qui sont à arracher quand même. Que faut-il justement pour arracher la liberté de la femme en Algérie? Il faut un signe fort du gouvernent, notamment abroger le Code de la famille, faire une inégalité des droits homme/femme ensuite faire attention à l'enseignement. Ce qui me faisait peur pendant les années du terrorisme, c'était moins les assassinats que ce que l'école était en train de faire aux petits Algériens, c'est-à-dire de leur mettre des cuillères. Si l'on donne les outils de réflexion à l'enfant on en fait un homme libre, c'est cela le potentiel qui va faire changer le pays. Il faut faire attention à l'enseignement et à la jeunesse algérienne et puis que les lois soient claires. Ça suffit de cette ségrégation!