La crainte d'une dérive islamiste et d'un redéploiement des systèmes politiques décriés dans le monde arabe continuent de marquer la période post-révolution des mouvements populaires pour le changement, notamment en Tunisie et en Egypte, ont souligné jeudi à Alger des universitaires et des politologues. Intervenant au colloque organisé par le quotidien El Watan intitulé « Le printemps arabe: entre révolution et contre révolution? », la sociologue Sarah Benfissa a évoqué une espèce « d'hybridation idéologique » parmi les forces politiques en présence dans les mouvements ayant pris part à ces révoltes populaires notamment en Tunisie et en Egypte. Elle a néanmoins souligné, dans ce cadre, que « les forces islamistes sont en train de perdre" » sur le plan de l'emprise idéologique. « Nous constatons un début de la perte de la bataille idéologique par les islamistes dans les pays arabes ayant connu des révolutions », a-t-elle noté. Les mouvements populaires pour le changement, selon elle, se référent au répertoire des droits de l'homme et une terminologie basée sur les cultures politiques locales. La sociologue a estimé, par ailleurs, que les réformes engagées après ces révolutions « connaissent des lenteurs », notamment en Tunisie et en Egypte. Elle a affirmé, à ce propos, que dans le cas de l'Egypte « le référendum sur la Constitution reprend des revendications formulées par des partis d'opposition avant la révolution », relevant que la demande de la population et ses attentes ont changé avec les manifestations et le départ de Moubarak. Pour cette universitaire qui s'intéresse à la vie politique en Egypte, le Haut conseil militaire dans ce pays a établi une « coalition » avec les Frères musulmans « pour passer ce référendum ». La sociologue française, Sandrine Gamblin, spécialiste des mouvements politiques en Egypte, a dressé, pour sa part, un tableau des forces politiques en présence en Egypte, en centrant son intervention sur les différentes scissions constatée au sein de la confrérie des Frères musulmans et l'apparition des salafistes qui viennent de créer des partis politiques. Selon Sandrine Gamblin, les Frères musulmans sont organisés dans cinq partis différents, remettant en cause, de ce fait, la thèse qui insistait sur le caractère « monolithique » de cette confrérie. Dans son exposé séquentiel des événements politiques ayant marqué l'Egypte durant le soulèvement populaire, elle s'est interrogé sur la coalition qui s'est formée autour des Frères musulmans et composée de plusieurs partis politiques dont le parti libéral traditionnel El Wafd et les Nassériens. Elle a notamment soulevé le « problématique » article 2 du projet de Constitution égyptienne « consacrant la Chariaa comme unique source de la législation », une disposition constitutionnelle qui est « paradoxalement » revendiquée, a-t-elle dit, même par les libéraux, à l'instar du Mouvement des égyptiens libres conduit par l'homme d'affaire Nadjib Sawariss. C'est ce qui l'a amené à poser la question de la nature de l'Etat en Egypte et la revendication d'un « Etat civil » par l'ensemble de la classe politique. Le professeur en philosophie politique de l'Université de Kairouan (Tunisie), Farid Alibi, a remis en cause, quant à lui, l'intitulé du colloque, en proposant de qualifier les mouvements populaires arabes, notamment ceux d'Egypte et de Tunisie, de « révoltes » et non de révolutions. Il a estimé, dans ce cadre, que ce qui se passe actuellement dans ces deux pays « s'apparente à une reproduction des mêmes systèmes décriés lors de ces soulèvements ». Le Pr Alibi a critiqué, à ce sujet, la couverture médiatique des événements en Egypte et en Tunisie, ainsi qu'en Libye, en disant que « la presse a contribué au vol du contenu social et politique de ces révolutions, en application de l'agenda des pays impérialistes ». Pour lui, il n'existe pas un printemps arabe mais plutôt « des velléités de reconstruction des vieux systèmes politiques du monde arabe ».