Dans son intervention à la clôture de la première journée du colloque sur les révolutions arabes, la sociologue Sandrine Gamblin a dessiné la nouvelle carte des forces politiques dans l'Egypte post-Moubarak, résultat, selon elle, d'une dynamique qui ne s'arrête pas, en dépit d'un essoufflement certain. A travers une chronologie séquentielle, la politologue, établie au Caire depuis deux décennies, a mis en exergue les moments significatifs qui ont déterminé le sens de la révolution : la chute de Moubarak, la répression, la question des martyrs, l'entrée en jeu des Coptes, l'émergence des islamistes et enfin la fracture entre partisans d'un Etat islamique et ceux militant pour un Etat civil. Les acteurs principaux influent sur le cours de la révolution, mais subissent, à leur tour, ses revers ; elle en veut pour preuve la multiplication des partis politiques (70 nouveaux agréments) et l'éclatement des Frères musulmans en 5 partis. L'enjeu s'est déplacé, cependant, vers la nature de l'Etat et la forme politique de la nouvelle Egypte. Un constat partagé par la politologue, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Sarah Ben Néfissa, qui, avant elle, avait abordé un thème intitulé : «Révolution du 25 janvier en Egypte, citoyenneté égyptienne et restauration autoritaire». Si les poussées populaires ont réussi à faire tomber la tête du régime le 25 janvier, ce régime est toujours en place, d'où les batailles cycliques entre les militants de place Tahrir et les forces réactionnaires qui mènent la contre-révolution. Fait saillant : «Ces soulèvements ont fait émerger le corps électoral, indispensable dans toute démocratie et siège principal de la légitimité politique. Il s'agit d'une conséquence majeure qui est au cœur même de la question de la citoyenneté», affirme Sarah Ben Néfissa. Les soulèvements ont permis aussi, selon elle, la réappropriation de l'espace public, adversaire redoutable des forces réactionnaires, l'armée et son allié conjoncturel, les Frères musulmans, qui tentent depuis le début de restaurer l'autorité. Le point d'orgue de l'intervention de la politologue s'articule autour du concept d'hybridation des régimes politiques dans le monde et comment la mondialisation tend à estomper les distinctions entre les régimes autoritaires et les régimes bureaucratiques. Cette hypothèse a généré trois conséquences, soutient-elle. D'abord, elle remet en question l'idée que les émeutes sont faites pour les pays du Sud alors que les mouvements sociaux sont le propre des pays démocratiques, en illustrant ses propos par une comparaison entre la révolution tunisienne et les émeutes de Londres. L'hybridation peut être aussi idéologique, sachant que l'idiome islamiste n'a pas imprégné les révolutions tunisienne et égyptienne, souligne encore l'intervenante. Elle en conclut que les islamistes sont en train de perdre la bataille idéologique qu'ils ont remportée depuis des années, ce qui ne signifie pas nécessairement perte de la bataille électorale En troisième lieu, on trouve l'hybridation des formes d'appartenance, qui, affirme l'intervenante, a pour conséquence la baisse des nationalismes archaïques des décennies précédentes, la naissance d'un nouveau regard vers l'Occident, et une demande de reformulation des rapports entre communautés, ce qui met en avant la question sociale et l'exigence de reformulation des modalités d'unité nationale. Pour la suite des événements et à défaut d'un Etat démocratique, S.Ben Néfissa propose trois scénarios pour la transition : l'hybridation du régime politique, sinon une autocratie sans autocrate, ou encore une démocratie autoritaire dans laquelle l'armée, tout comme l'espace public, auront un rôle à jouer.