L'attribution du prix Nobel de la paix à la chef d'Etat libérienne en quête d'un 2e mandat, Ellen Johnson Sirleaf, alimente la polémique dans son pays, certains l'estimant non mérité, d'autres le jugeant susceptible de fausser le jeu électoral à trois jours de la présidentielle. « La seule chose regrettable, c'est que le moment (d'attribuer le Nobel) peut faire croire que quelqu'un veut tricher pour que Mme Sirleaf l'emporte » lors de la présidentielle de mardi, organisée en même temps que des législatives et sénatoriales, a estimé Emmanuel Williams, pasteur. Ce sentiment semble partagé par beaucoup de Libériens, dans un pays traumatisé par deux guerres civiles qui, de 1989 à 2003, ont fait 250.000 morts, des centaines de milliers de blessés, et détruit ses principales infrastructures et son économie. Co-lauréate du Nobel de la Paix avec sa compatriote Leymah Gbowee et la Yéménite Tawakkol Karman, Mme Sirleaf, 72 ans, a été élue présidente en 2005, deux ans après la fin du conflit. Le soutien des bailleurs de fonds internationaux lui a permis de reconstruire en partie Monrovia, particulièrement touchée par les guerres, et d'attirer les investisseurs, sans que cela profite à l'emploi, 80% des libériens en âge de travailler étant au chômage. Mais elle n'arrive pas à se départir des critiques sur le soutien financier qu'elle avait apporté au début des années 1990 au chef de guerre Charles Taylor, président de 1997 à 2003, à qui elle s'est ensuite opposée. Elle brigue un nouveau mandat face à 15 candidats, le principal étant Winston Tubman, 70 ans, du Congrès pour le changement démocratique (CDC) qui l'accuse de ne pas avoir oeuvré pour une vraie réconciliation, de ne pas avoir tenu ses promesses. Après ses « six ans de pouvoir, nos routes sont toujours aussi déplorables, nos populations vivent toujours dans une pauvreté abjecte, nos infrastructures sont toujours à terre, pas d'électricité (...). Et aujourd'hui, surprise: on apprend que notre présidente a reçu un prix Nobel de la paix », a dit vendredi M. Tubman lors d'un meeting du CDC devant plusieurs dizaines de milliers de personnes à Monrovia. « Elle a apporté la guerre » et une fois au pouvoir, « elle n'a pas apporté l'unité ». Pour George Weah, ex-vedette du football international et populaire co-listier de Tubman, « Prix Nobel ou pas, le 11 octobre, elle va dégager ». Réagissant à sa distinction vendredi devant des journalistes à Monrovia, Mme Sirleaf s'est défendue de toute immixtion dans le travail du comité Nobel. « J'ignorais le calendrier » de l'annonce du prix, « quelque part, j'ai été, aussi, agréablement surprise », a-t-elle dit, indiquant qu'elle le considérait cependant comme « un message aux Libériens" en faveur de la paix, « au moment où le Liberia tient cet évènement majeur », les élections. A ses opposants qui estiment son prix non mérité, elle a répondu: « J'accepterai leurs propositions et avis. Tout ce qu'ils ont à faire maintenant est de travailler avec moi afin qu'on atteigne la réconciliation que tout le monde veut ». Aucun rassemblement majeur n'est prévu mais à quelques heures de la clôture, dimanche, de la campagne, Monrovia demeurait en proie à la fièvre électorale: des groupes partisans parcouraient les rues, scandant des slogans ou dansant au son de musiques diffusées par des haut-parleurs installés sur des camions mobiles. Sur des panneaux, affiches, banderoles à travers la ville, chaque camp y va de son slogan, souvent imagé. « Le singe a encore du travail, que le babouin attende un peu », clament des pro-Sirleaf, le singe - animal rusé dans l'imaginaire populaire libérien -, faisant référence à Mme Sirleaf, et le babouin à l'opposition. Ce à quoi des pro-Tubman rétorquent: « Hé, le singe, descend! On va t'enterrer le 11 octobre ». Mardi, près de 1,8 million de Libériens sont appelés aux urnes. Les forces de l'ONU dans le pays sont en état d'alerte par crainte de violences.