A l'hôpital Ibn Sina de Syrte, des blessés, entassés dans les couloirs, observent, effrayés et stupéfiés, les combattants du nouveau pouvoir libyen qui ne cessent d'aller et venir aux cris de Allah Akbar (Dieu est grand). «Ce n'est plus un hôpital», se désole le docteur Nabil Lamine qui tente de se frayer un passage au milieu des combattants. Dimanche, les forces du Conseil national de transition (CNT, ex-rébellion) sont parvenues à prendre le contrôle du principal hôpital de Syrte, au sud de la ville, après d'intenses combats qui leur ont permis de réaliser une percée majeure face aux derniers fidèles à Mouammar Kadhafi. «Nous avons dû rapatrier tous les patients au rez-de-chaussée à cause des combats», explique Dr Lamine, qui se rend dans les étages pour vérifier l'état de santé des deux seuls patients qui n'ont pu être déplacés. Il gravit les escaliers au milieu des bris de verres et pénètre dans le service des soins intensifs. Deux hommes à demi-nu sont allongés dans une salle jonchée de détritus et de matériel médical endommagé où flotte une tenace odeur d'excréments. Un des deux patients a besoin d'être opéré à la tête, l'autre doit se faire amputer de la jambe, explique le médecin tandis que des tirs d'artillerie touchent le bâtiment. A l'extérieur, des combats se poursuivent tout près, les hommes du CNT tentant de repousser les forces de l'ancien régime vers le coeur de la ville. «Nous ne pouvons pas les aider. Nous n'avons pas les médecins nécessaires. Ils vont certainement mourir», se désole le médecin qui se précipite au rez-de-chaussée, laissant les deux patients seuls dans l'unité de soins où un portrait de Kadhafi déchiré gît sur le sol. Au rez-de-chaussée, la plupart des malades et des blessés massés dans le couloir sont des hommes jeunes, grièvement blessés, certains avec de terribles brûlures au visage. «Allez, crie +Libya Horra+ (Vive la Libye libre, ndlr)», ordonne un jeune combattant pro-CNT à un blessé qui docilement s'exécute. Trois combattants armés se rassemblent autour d'un autre jeune homme, lui crient dessus, l'accusent d'être un combattant fidèle à l'ancien «Guide» en fuite. Un combattant plus âgé tente de les calmer. «Certains sont des civils, mais la plupart sont des hommes de Kadhafi», affirme Ali Harba, un combattant du CNT qui dit être médecin. A côté de lui, un homme allongé sur un lit répète qu'il n'est qu'un civil et qu'il s'est fracturé la cheville dans un accident de voiture. A l'autre bout du couloir, dans une cour qui sert de morgue et d'où se dégage une odeur nauséabonde de cadavres, les combattants pro-CNT ouvrent les tiroirs de métal à la recherche des corps de leurs camarades tombés pendant les combats. Avant la prise de l'hôpital, plusieurs témoins avaient raconté que les forces fidèles à l'ancien colonel déchu utilisaient le bâtiment comme un centre de commandement. Mais aucune trace d'un tel centre n'était visible dimanche. Au sous-sol, dans la salle des archives, ce sont des infirmières d'origine philippine, indienne ou bangladaise qui se terrent. Elles travaillaient à l'hôpital et vivaient dans des appartements du centre hospitalier. Plus personne n'est allé travailler après le 2 octobre à cause des bombardements. Ils tiraient de 05H00 du matin jusqu'à ce qu'il fasse nuit, explique Maria Cristina Cruz, originaire de Manille, qui travaille à Ibn Sina depuis 19 ans. «Mais certains patients sont venus nous chercher dans nos appartements et nous ont demandé de venir pour qu'on leur fasse des dialyses», explique-t-elle. Les combattants ont ordonné aux infirmières de rester dans le sous-sol avec leurs valises dans l'attente d'être amenées dans un hôpital de campagne situé à 50 kilomètres à l'ouest de la ville. Les combattants assurent qu'ils vont également y évacuer les blessés. Parmi les rares femmes hospitalisées, une a accouché samedi par césarienne. Son bébé dort à côté d'elle dans une couveuse.