En politique comme ailleurs, les improvisations ne peuvent pas remplacer un consensus social fruit d'un dialogue franc et sincère. A son arrivée au palais d'El-Mouradia, le Président Abdelaziz Bouteflika avait tous les atouts en main: une Constitution qui lui donne les pleins pouvoirs, une majorité confortable au Parlement, le contrôle des médias lourds et de quelques journaux qui appuyaient sa politique, l'envolée des prix pétroliers qui a permis des rentrées substantielles en devises, mais surtout quelques initiatives par lesquelles l'homme avait brisé quelques tabous, dont l'invitation lancée à Enrico Macias n'était pas la moins spectaculaire, alors même que ses sorties à l'étranger avaient contribué à briser l'isolement de la diplomatie algérienne et l'avaient remise en selle. L'atout principal restait cette large coalition de partis dont le spectre allait des laïcs du RCD aux islamistes du MSP ou d'Ennahda, en passant par les «Novembristes» comme le FLN et le RND. Les observateurs, qui veulent s'obliger à une certaine neutralité et à un peu de recul dans l'analyse, se demandent comment un tel homme, qui avait autant d'atouts en main, a pu perdre en quatre ans tous ses relais et presque tous ses appuis politiques, mis à part quelques cercles présidentiels beaucoup plus soucieux d'obtenir un second mandat que de proposer un projet cohérent. Si on ne prend en considération que les partis politiques, on voit que le chef de l'Etat ne consultait pas les chefs des partis, ne les associait pas à ses projets, ne les invitait jamais à partager avec lui le petit-déjeuner. Il s'est comporté comme si ces chefs, grâce auxquels, entre autres, il a pu accéder à la magistrature suprême ne lui doivent qu'obéissance et...allégeance. Or, on n'est pas dans une seigneurie et les chefs de parti ne sont pas des vassaux, mais des responsables qui ont derrière eux un appareil, des réseaux et des militants. La rapidité avec laquelle les comités de soutien font défection montre que le courant ne passe pas, ou ne passe plus. Il y a sûrement un problème de communication et d'écoute. Un problème de dialogue. Mais l'homme était sûrement mal conseillé. Car alors que tout se dérobait sous ses pieds, il croyait pouvoir continuer à contrôler la situation. Les résultats auxquels a abouti le 8e congrès du FLN, où son nom ne fut pas prononcé et ne fut donc pas applaudi, a sonné comme un coup de gong. C'était le K.-O. avant l'heure. C'est à ce moment que les cercles présidentiels ont perdu le nord et que le pays a frôlé la crise politique grave. Alors l'homme, qui n'avait pas su se servir de ses atouts, a joué un autre coup de poker : faire appel au RND, qu'il a tout fait pour affaiblir pendant quatre ans, pour essayer de récupérer un FLN désormais perdu pour lui. Et aujourd'hui, au lieu d'un programme politique cohérent, on assiste à un ersatz de programme social, basé sur des largesses présidentielles aux wilayas et un dialogue social auquel est rompu Ahmed Ouyahia, notamment par le biais des bipartites et des tripartites dont il avait abusé au cours de son premier mandat à la chefferie du gouvernement. De vieilles recettes pour une nouvelle politique, le résultat n'est pas gagné d'avance. En politique comme ailleurs, les improvisations ne peuvent pas remplacer un consensus social fruit d'un dialogue franc et sincère. La situation a beaucoup évolué en Algérie en une décennie. Ne pas tenir compte de cette donne fondamentale, c'est courir le risque d'être à côté de la plaque.