Le président Bouteflika a chargé mardi dernier Ahmed Ouyahia, ancien chef de gouvernement, en qualité de représentant personnel, de conduire la délégation algérienne à la réunion de haut niveau du Conseil de sécurité des Nations unies sur les relations entre l'ONU et les organisations régionales, en particulier l'Union africaine, dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, qui se tient à New York. Déjà son départ le 8 avril dernier pour New Delhi, chargé par le chef de l'Etat, toujours en tant que représentant personnel, de conduire une importante délégation au sommet Inde-Afrique, prêtait volontiers à des lectures qui pouvaient difficilement s'affranchir d'arrière-pensées politiques, sans risquer de dépouiller la démarche présidentielle de sens. On serait vraiment mal inspiré si l'on venait à convoquer quelque amabilité, ou encore une courtoisie, voire une noblesse d'âme dont s'accommode généralement mal la raison d'Etat pour expliquer un retour en grâce d'Ahmed Ouyahia. D'autant moins que le patron du RND a ostensiblement montré, depuis son éviction par Abdelaziz Bouteflika en 2006 du poste de chef du gouvernement, qu'il demeurait en “réserve de la République”. En des moments où l'on le voyait volontiers basculer dans l'opposition, attendait-il son heure pour espérer revenir aux affaires ? Serait-il pressenti de nouveau à la tête du gouvernement ? Peut-être à occuper le poste de vice-président de la République ? Des questions et bien d'autres du genre qu'on est fatalement amené à se poser, si l'on suppose un instant que les destins des deux hommes, ou plutôt leurs desseins politiques, ne peuvent s'accomplir sans se croiser. Cependant, il en est de certains décryptages, même procédant de la pure spéculation, qui peuvent se révéler toutefois séduisants dans la trajectoire qu'ils peuvent donner à des évènements presque inattendus où surtout le président de la République persiste et signe. Ouyahia à New Delhi, Ouyahia à New York. Il est difficile de prendre au premier degré les décisions présidentielles, tant le personnage de Bouteflika s'est surtout illustré par une vision profonde qui prête rarement le flanc, ici et maintenant, à la lisibilité politique, car ses jalons ressemblent à des pièces disparates d'un puzzle qui donne la migraine. Il serait alors opportun de décrypter ce retour en grâce d'Ouyahia à travers la convocation de l'actualité politique, orientée, disons-le, toutes voiles dehors, vers l'option de l'amendement de la Constitution (perfectible dira le Président) et surtout d'un troisième mandat pour Bouteflika. Il est vrai, dans cette veine, rien ne semble en mesure d'empêcher le chef de l'Etat de rester au palais d'El-Mouradia. Cependant, la partie est loin d'être gagnée pour Bouteflika. Car les enjeux d'une révision constitutionnelle et d'un troisième mandat se jouent ailleurs que dans cette atmosphère de kermesse, où l'on se bouscule pour solliciter une “ouhda thaleta”. Le président de la République est, en effet, obligé de composer avec un contexte national et international lequel, au pire, peut faire capoter son projet et, au mieux, jeter le doute sur sa légitimité. Connu pour être sourcilleux sur la légitimité de son pouvoir, Bouteflika doit convaincre et, surtout, rassurer. Ici, il faudra peut-être faire un arrêt sur le contexte international pour dire que les puissances occidentales ne feraient pas vraiment cas, du fait qu'un président algérien brigue un troisième mandat et même un quatrième autant qu'elles s'inquiéteraient de la situation de l'Algérie en cas de vacance de pouvoir ou de changement à la tête de la présidence de la République. N'est-ce pas qu'Américains et Européens se sont bien accommodés de leaders inamovibles comme Hosni Moubarak ou Mouammar El Kadhafi. Reste donc la question de savoir si Bouteflika aura les capacités physiques pour mener un troisième mandat à son terme. C'est autour de cette inquiétude que le président de la République doit rassurer les partenaires étrangers d'une manière ou d'une autre. Dans ce cas, le réalisme dicte le choix d'un dauphin capable de parer à toute éventualité. Mais pas seulement, car il s'agit aussi de trouver un consensus dans les hautes sphères de l'Etat autour d'une personnalité ayant les qualités d'un homme d'Etat requises pour cette place de dauphin. Et il n'est pas exclu que le président l'ait trouvé en la personne d'Ahmed Ouyahia. Une personnalité que la majorité des pronostics, tant au niveau national qu'international, désignent comme un sérieux prétendant à la vice-présidence de la République, depuis que cette éventualité a commencé à circuler dans les milieux politiques et diplomatiques. Un vice-président de la République qui sera considéré comme le deuxième personnage de l'Exécutif et qui succédera au Président si ce dernier est dans l'incapacité d'assumer les charges présidentielles. Comme c'est le cas prévu, par exemple, par la Constitution américaine. Autant dire qu'il s'agit pour Bouteflika de donner une garantie sur la capacité de l'Algérie à assurer la continuité sans heurts en cas de vacance du pouvoir. Dans ce contexte, la meilleure carte qu'il peut jouer, en espérant être gagnant, reste celle d'Ahmed Ouyahia. Zahir Benmostepha