La question taraude les esprits et inquiète, particulièrement, les milieux laïcs qui redoutent un retour en arrière. Les intellectuels saisissent le bâton au milieu. Si Ennahda a raflé la mise, haut la main, après vingt ans d'exil, c'est parce qu'il a su intégrer «la modernité». Comme il a appris dans la clandestinité et l'exil à se gérer et s'organiser, affiche plusieurs longueurs d'avance sur le reste des partis politiques tunisiens. Sur le terrain, il est déjà en campagne pour les législatives et les municipales alors qu'à son sommet il affiche une diplomatie de circonstance qui impose autant de respect que de vigilance. Aujourd'hui, sorti vainqueur de ces premières élections libres en Tunisie, il reconquiert le terrain politique avec suprématie. Mais face à cet état de fait, faut-il avoir peur d'Ennahda après sa victoire sans appel aux élections de l'Assemblée constituante? «Non», nous a déclaré Chadli Seghair, ancien diplomate. «Je ne crois pas qu'il faille avoir peur d'Ennahda», ajoute-t-il. Le fait, poursuit-il qu'Ennahda ait obtenu entre 40 et même plus, en termes de pourcentage de voix qui ont été enregistrées, «ce pourcentage ne peut pas être représentatif de la société tunisienne dans sa totalité». Sur le plan sociologique, M.Sghair explique qu'Ennahda ne représente que le 1/6e de la société tunisienne. Sur le plan politique, l'ancien diplomate estime que le parti doit composer avec les autres forces politiques, tel que le Congrès pour la République et Ettakatol. Le CPR de Moncef Marzouki, selon M.Seghair, sera le pivot. «Un autre élément, la société tunisienne va être très attentive à toute décision politique qu'Ennahda prendrait sur les questions essentielles relevant des acquis depuis l'Indépendance et qui embrassent, entre autres, les droits de la femme, le droit à l'éducation», précise-t-il. M.Seghair n'a pas omis de rappeler que la Tunisie «se caractérise par l'ouverture et la tolérance»; des mots, insiste-t-il, qui «sont ancrés, concrètement, dans la vie quotidienne des Tunisiens». «Avoir peur de qui?», nous confie pour sa part Abderrazak Kilani, bâtonnier de l'Ordre national des avocats de Tunisie. «Ennahdha sont des Tunisiens comme tous les autres. Au contraire, je crois qu'on a laissé le plus important. C'est plutôt de fêter cette victoire de la démocratie et on revient à la même propagande vécue pendant dix mois, sur le danger de l'islamisme, les questions du modernisme, du droit d'égalité entre l'homme et la femme», s'est exclamé Me Kilani, précisant que ce ne sont pas les problèmes de la Tunisie. Pour lui, les Tunisiens représentent, malgré tout, un modèle dans le monde arabo-musulman. «Le peuple tunisien a démontré qu'il était très attaché à son identité arabo-musulmane, quel que soit le comportement des Tunisiens, aussi bien ceux qui fréquentent les bars ou les mosquées», a-t-il assuré. Pour lui, le débat lancé ces derniers mois, «ne touche pas le Tunisien dans sa vie quotidienne et ses préoccupations». Me Kilani a laissé entendre que ce débat doit être axé sur «le chômage des jeunes, l'assainissement du corps de la justice, dans la mesure où celle-ci constitue la garantie de tous les droits et toutes les libertés». Il insiste sur le fait qu'il faut revoir la question du domaine relevant de l'information et de la presse qui constitue «un 4e pouvoir dans la dénonciation, notamment, la corruption et l'abus de pouvoir et, du coup, va être le surveillant des gouvernants».