En Japonais soucieux de culture, il s'est imprégné de la littérature algérienne Voilà donc l'ambassadeur de la troisième puissance économique mondiale à Alger, sans bagages et sans voiture. Il prendra le métro et s'habillera en kimono. Il y a des jours comme ça à Alger où le ciel est pâle, les murs glauques, où l'on se demande si l'on trouvera la joie de vivre. Les Algérois en phase avec leur climat, sont alors, l'âme morose, presque désespérés. C'est par cette journée d'automne si particulière que l'ambassadeur du Japon, Tsukasa Kawada, atterrit à Alger où il doit représenter son pays. Comme viatique pour ce long, très long voyage qui l'a mené du pays du Soleil Levant vers un pays du soleil couchant, M. Kawada n'a pas que son titre d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. En Japonais soucieux de culture, il s'est imprégné de la littérature algérienne. Les méandres Pour commencer il a lu. Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra et Débuts d'une diplomatie de guerre (1956-1962), de Abderrahmane Kiouane. Une lecture somme toute logique puisque M. Kiouane a été, au milieu des années 1950, le chef de la mission diplomatique du Gpra en Extrême-Orient avec siège à Tokyo. Dans les bagages de l'ambassadeur du Japon il y avait aussi ses valises. Premier incident à son arrivée à l'aéroport international d'Alger: il ne pourra pas récupérer ses valises! Non, c'est juste une simple procédure, un contrôle routinier. Et puis, on ne fait pas subir les méandres de la bureaucratie algérienne à l'ambassadeur de la troisième puissance économique du monde, ce n'est pas le Burundi quand même! M. Kawada se console, puise dans sa patience, mais la bureaucratie algérienne a eu raison de la constance du Japonais. Il cède et perd le fard bien connu des diplomates. «Je vais être franc avec vous», lâche-t-il lors de l'entretien qu'il nous a accordé ce mardi 8 novembre. Avant de raconter sa mauvaise aventure, il a abordé le climat des affaires répondant à une question posée dans ce sens. «Le climat des affaires ici en Algérie n'est pas comme on le souhaite. A mon avis, votre économie a besoin de plus de libéralisation même si cette libéralisation dépend de plusieurs facteurs internes souvent difficiles à résoudre. Vous devez intégrer l'Organisation mondiale du commerce.» Il marque un temps d'arrêt et se lance à l'assaut de la forteresse: «J'ai envie de dire quelque chose sur la bureaucratie, on est critiqué pour ce fléau au Japon, mais j'ai l'impression que c'est un peu trop en Algérie. Je suis arrivé ici il y a un mois et je n'ai pas encore pu récupérer mes bagages à l'aéroport.» Un visa Il a tenu exactement les mêmes propos avec notre confrère d'El Watan. La bureaucratie ça fait mal. Il racontera alors les péripéties des formalités qu'il est en train de remplir pour obtenir tous les documents nécessaires pour cela. «On m'a exigé une carte diplomatique, je ne sais pourquoi du moment que j'ai un visa et un passeport diplomatiques.» La situation est telle que sa femme, dit-il, «commence à se plaindre car elle n'a pas ses habits d'hiver!». Comme pour appuyer ses dires, il affirme qu'il n'est pas le seul. «J'ai parlé avec des représentants des entreprises japonaises. Ils m'ont dit que l'Algérie est le marché le plus difficile au monde. Ils m'ont dit également que pour avoir un visa, il faut attendre pas moins de 40 jours.» Il ajoute que deux mois avant de venir en Algérie, il a commandé une voiture mais toujours rien. Voilà donc l'ambassadeur de la troisième puissance économique mondiale, à Alger, sans bagages et sans voiture. Il prendra le métro et s'habillera en kimono. Est-il normal qu'un ambassadeur soit traité de la sorte? Comment seront les rapports que cet ambassadeur transmettra sur l'Algérie? Comment se fait-il qu'un ambassadeur, reçu par le président de la République, donc accrédité, soit traité de cette manière? Le fait n'est pas nouveau en Algérie. S'exprimant devant les cadres de la Nation en septembre 2007 au Palais des Nations, le Président Bouteflika a affirmé qu'il est plus facile d'être reçu à la Maison-Blanche que par un wali. Il y a quelques mois, c'est le ministre de l'Intérieur qui parlait de la République des patrons. Le drame c'est qu'il n'y a aucune mesure pour y remédier. Pourtant, tout était bien parti depuis 2008 quand le Président Bouteflika s'est rendu au Japon. «Après la visite du Président Bouteflika au Japon, il a été convenu de développer notre coopération technique dans les domaines de la gestion des catastrophes naturelles et de l'environnement. En 2003, après le tremblement de terre de Boumerdès, des secouristes japonais sont venus apporter leur contribution.» Reconnaissant, le diplomate a rappelé que le gouvernement algérien a donné gracieusement à son pays une assistance de 10 millions de dollars après la catastrophe de Fukushima, en mars 2011. «Je profite de l'occasion pour remercier, au nom du gouvernement japonais, le peuple algérien pour sa solidarité.» Au niveau politique, il y a eu pour la première fois la visite du Premier ministre japonais en Algérie, M. Maehara». «On s'est mis d'accord aussi pour réactiver la commission économique mixte incluant les secteurs public et privé. Cette commission ne s'est pas réunie ces dernières années. Nous avons l'intention de réactiver la commission.» Au plan des investissements, il reconnaît un certain recul des entreprises japonaises en Algérie mais «cela est dû au fait que nos entreprises ne sont pas mercantilistes. De nature, le Japonais privilégie le développement social, il veut gagner de l'argent, mais le développement social prend une place importante dans le mode opératoire de nos entreprises.» Cependant, les deux pays se sont mis d'accord pour entamer les négociations autour d'un traité sur les investissements. «Nous développons actuellement un projet d'une très grande importance et qui consiste en la production de silicium à partir du sable du Sahara. Ce matériau sert à fabriquer des piles solaires. Le projet est pris en charge par l'université de Tokyo et l'université d'Oran pour développer cette technologie de pointe.» La question des énergies renouvelables étant d'actualité, un pareil projet sera d'une grande utilité pour les années à venir, encore faut-il qu'il ne subisse pas les affres de la bureaucratie. L'ambassadeur a fait remarquer également que son pays est intéressé par des investissements aussi bien dans le domaine pétrolier, notamment la pétrochimie que l'agriculture en particulier. Enfin, interrogé sur l'Algérie et les révoltes dans les pays arabes, il a soutenu que chaque pays a sa propre évolution historique. «Dans tous les pays, il est naturel que les peuples revendiquent plus de liberté et de démocratie. C'est pour cette raison d'ailleurs que le peuple algérien a fait la guerre contre le colonialisme français et combattu le terrorisme. A l'heure actuelle, votre pays est en train de discuter d'un plan de réformes. En tant que diplomate, je ne peux pas me permettre d'apporter un quelconque jugement sur ces réformes», a conclu M. Tsukasa Kawada dont l'amère expérience avec la bureaucratie algérienne fera date. Désormais, il y aura un avant et un après l'incident du diplomate japonais.