Le grand absent du procès des pirates somaliens, jugés à Paris pour la prise d'otage du voilier Carré d'As, était vendredi le chef et commanditaire supposé de l'opération, que les gendarmes français ne se sont pas risqués à aller chercher dans le guêpier somalien. «Cela aurait fait quelques otages de plus...», a lâché l'avocate générale de la cour d'assises, Anne Obez-Vosgien. Un avocat de la défense, Gustave Charvet, venait de demander à un capitaine de gendarmerie entendu par la cour comment on procédait d'habitude, lorsqu'on interpelle une bande de malfaiteurs et que l'enquête permet d'identifier leur chef, qui n'a pas été arrêté. En l'occurrence, un certain Youssouf Haji Shiré, ancien douanier somalien régnant en chef mafieux sur son village, a été identifié comme le responsable du détournement du Carré d'As. Le voilier avait été capturé au large de la Somalie le 2 septembre 2008, avec ses skippers, Jean-Yves et Bernadette Delanne, libérés deux semaines plus tard lors d'une opération commando de l'armée française. Mais seuls les six hommes qui se trouvaient à bord lors de l'assaut comparaissent devant la justice française, encourant la réclusion à perpétuité. «Quel est le travail d'une section de recherches?», questionne l'avocat. «Procéder à l'enquête, faire éclater la vérité», répond le gendarme Alain Dulon, dont l'unité s'était vu confier à Paris l'enquête sur l'affaire, après avoir réceptionné les six hommes amenés de Djibouti par avion militaire. «Interpeller le chef?», insiste Me Charvet. «Bien sûr, le but c'est d'aller chercher les têtes, mais vous savez que le chef se trouve en Somalie!», s'irrite l'enquêteur. La Somalie, pays en guerre depuis plus de 20 ans, où l'on hésite à s'aventurer... «La commission rogatoire, ça sert à aller chercher les gens!», tempête l'avocat, qui s'emploie dans le même temps à démontrer que la garde à vue n'a certainement pas permis d'identifier qui, des six accusés, avait été plus «chef» que l'autre.
Devant les enquêteurs, les six hommes avaient reconnu à des degrés divers leur participation aux faits, certains ayant pris part à l'abordage, d'autres à la garde des otages ou à la négociation visant à la remise d'une rançon. Depuis le début du procès, l'affaire est moins claire, chacun minimisant sa participation ou affirmant s'être trouvé là par hasard ou contrainte. Entamé mardi et après avoir étudié les personnalités des six hommes, dont trois pêcheurs, le procès a commencé vendredi l'examen des faits. Sous le regard attentif des «pirates» assis à l'avant du box vitré des accusés, les scellés ont été ouverts: quatre longues caisses en carton contenant les armes saisies sur le voilier après l'opération des forces spéciales, à savoir trois fusils d'assaut dont deux Kalachnikov, et un lance-roquettes RPG. Dans la matinée, la cour avait entendu un capitaine de vaisseau, Xavier Mesnet, dresser un panorama de la piraterie somalienne, qui ne faiblit pas malgré la présence de navires militaires dans la région. L'officier a constaté que les voiliers, lents, très bas sur l'eau, mal défendus, étaient "des prises très faciles" pour les pirates. Il a aussi expliqué que la Somalie offrait comme choix à ses jeunes gens d'être recrutés par «les milices shebab» (islamistes) ou par les pirates. «Les pirates paient mieux», a-t-il ajouté. Les époux Delanne, absents jusqu'à présent, sont attendus lundi au procès, prévu jusqu'à la fin du mois.