Quand écrire ce que l'on pense devait passer par l'allusion aux chats de la cantine qui ont été compressés. Il faut que je dise tout de suite que l'ouvrage Du côté du 20, rue de la Liberté (*) de Mahmoud Boussoussa est celui d'un journaliste qui s'est abreuvé à la source du bonheur de la profession et qui s'est accompli totalement dans le journal national El Moudjahid dont l'adresse figure dans le titre même du présent ouvrage. «Ce journal¸ écrit Boussoussa, ressemblait à une véritable ruche d'abeilles que ce soit au niveau de l'imprimerie, la rédaction ou de l'administration [...] À cette époque, les travailleurs étaient unis comme s'ils étaient des membres d'une même famille». Toutefois, il mentionne - et c'est de l'histoire et il l'explique avec tristesse dans plusieurs pages - que «Malheureusement, cette cohésion a été brisée en 1997, au mois de mars, après que le Holding "groupe de presse" eut décidé de la séparation du Titre des moyens d'impression et plus grave encore, la compression du personnel. Ce fut une dure épreuve ressentie par l'ensemble des travailleurs, excepté ceux qui ont approuvé cette "transaction"». À ce sujet, Boussoussa, fin pince-sans-rire a cette anecdote que je reprends brièvement: «La nouvelle administration du journal a décidé de fermer la coopérative de consommation où les travailleurs de l'entreprise venaient s'approvisionner en divers produits. [...] Les chats, qui étaient si nombreux dans l'enceinte du journal, ont subitement disparu. [...] Pourquoi? Parce que tout simplement la cantine avait été fermée. Les chats n'avaient donc plus rien à mettre sous la dent! [...] Face à ce vide que nous ont laissé ces pauvres mammifères, [...] j'avais aussitôt pris une grande feuille blanche sur laquelle j'avais écrit avec un stylo feutre noir: ´´Même les chats ont été compressés!... [...] Quelques instants plus tard, il y avait une grande affluence en cet endroit. Tous les collègues qui passaient par là, observaient une halte. En lisant cette affiche, ils ne s'arrêtaient pas de rire... jusqu'aux larmes! L'un des travailleurs a dit à son compagnon: "Eh bien mon ami celui qui a eu l'idée d'écrire cela, mérite d'être félicité. Il a eu au moins le courage d'écrire ce qu'il pense.´´ [...] Son collègue avait noté pour sa part: «... Cependant, il a oublié que ces chats dont il parle, ne nous ont jamais aidés dans notre dur labeur à l'imprimerie, mais ils étaient les premiers à être servis à la cantine!..."» La gêne, ayant gagné «certains responsables fraîchement parachutés», après une semaine, l'affichette est déchirée. Incisif et s'inspirant d'un proverbe populaire, Boussoussa rappelle: «Il n'y a que les galets qui restent au fond de l'oued.» C'est là un échantillon du langage truculent et du ton hardi utilisés par l'auteur dans son livre Du côté du 20, rue de la Liberté... Par ailleurs, il précise au lecteur: «C'est ce titre évocateur que j'ai choisi pour mon ouvrage dont le texte retrace nombre de mémoires se rapportant à mon enfance; l'itinéraire scolaire et universitaire; les trente années que j'ai passées au Quotidien national El Moudjahid; les reportages effectués à l'intérieur du pays et à l'étranger; mes activités successives au sein de trois organismes socioprofessionnels.» Dans les annexes, l'auteur nous présente l'essentiel de ses souvenirs personnels de jeunesse, de ses reportages en Algérie et dans divers pays (Italie, Qatar, Bulgarie, Vietnam, Maroc,...), ainsi que des entretiens avec de hauts personnages dont le général Giap, héros de la bataille de Diên Biên Phu (Vietnam, 1985) et M. Abou El-Izz, l'ancien ambassadeur de l'Etat de Palestine à Alger (1990). L'histoire commence avec les arrière-grands-parents, natifs de Tadernout (Ziama-Manzouriah), à l'Est de Bejaïa, se poursuit en 1907, avec la génération suivante au douar Essahel; là, l'auteur est né en 1944 et a fait ses toutes premières études à l'école coranique. Il nous raconte ses souvenirs d'enfance. Puis, en 1951, c'est toute la famille qui va s'installer à Alger et s'habituer à la vie citadine d'Alger-Bouzaréah... Mahmoud, dans le quartier, à l'école, au collège, au lycée, à l'Ecole normale d'instituteurs, à l'université, découvre un monde nouveau qui lui fera prendre conscience d'occuper une place dans la vie active d'une Algérie indépendante en pleine reconstruction. Le 1er décembre 1969, Mahmoud Boussoussa est journaliste à El Moudjahid. Ensuite, l'auteur nous dresse «un rappel historique de ce Quotidien national» dans le détail pour nous montrer quelle a été sa vie personnelle de journaliste et celle des nombreux travailleurs, «dont certains ont même sacrifié leur vie afin que ce Quotidien paraisse dans les moments les plus difficiles, plus précisément durant la décennie noire (1990-2000).» Il y a de l'humilité, la volonté d'informer juste, l'audace de l'humour et de la précision, la fausse nonchalance de l'artiste toujours ouvert au rêve et dont la plume a toujours le mot de la fin. Je pourrais dire à la lecture de son ouvrage que Mahmoud Boussoussa nous a livré son «journal intime» et je pourrais dire aussi qu'il est, par bien des traits de son caractère, un de nos «héros» de la presse publique algérienne, c'est-à-dire un de ceux qui se sont chargés quelque peu d'être les éducateurs de la société. Dans ce livre, Mahmoud Boussoussa nous propose, tel un ami doux et fidèle de longue date, une confession jurée de conscience professionnelle et son attachement à El Moudjahid. Son préfacier, le regretté et impeccable journaliste, Abdelali Ferrah, ancien directeur général de l'hebdomadaire Révolution Africaine et des quotidiens En-Nasr et El Moudjahid, affirme lui aussi avec émotion que «le doyen de la presse nationale fut une grande Ecole où ont été formés les pionniers de la presse écrite nationale. [...] J'avais exercé de 1965 à 1967 comme journaliste au sein de ce Quotidien. J'avais en outre assumé de 1967 à 1971, les fonctions de Rédacteur en chef adjoint avant d'être nommé quelques années plus tard, au poste de Directeur général (de 1980 à 1981).» Comme hier, je crois, et certainement encore aujourd'hui, que le journaliste, l'écrivain, l'artiste, tous ceux dont la main, le corps et l'intelligence sont valides et utiles pour leur compétence, ont pour devoir d'agir avec pédagogie pour informer et former le public, complémentairement à l'action de l'école qui est d'éduquer et instruire. Affable, courtois, cultivé, journaliste jaloux de sa profession, Mahmoud Boussoussa a durant trente ans (1969-2000) servi dans El Moudjahid, doyen de la presse nationale, situé au 20, rue de la Liberté à Alger, - titre et adresse constituant toute une symbolique qui aide la jeunesse d'aujourd'hui à apprendre à connaître le secret de son vrai bonheur, celui de servir son pays en toute conscience professionnelle! (*) Du côté du 20, rue de la Liberté de Mahmoud Boussoussa, Editions el Maarifa, Alger, 2011, 239 pages.