En histoire, une analyse critique de ce que l'on sait et de ce que l'on ignore tient à honneur de se doter en valeurs absolues. Pour ma part, je suis convaincu que le professeur d'histoire n'est pas historien et j'ai toujours pensé que lorsque l'on écrit sur l'histoire de notre pays, ce n'est vraiment pas pour l'enseigner à la jeunesse et, en quelque sorte, non plus pour verser dans un volume ce que l'on sait, par accumulation, du fait d'avoir été instruit par ailleurs, - les livres ne nous apprennent pas tout, c'est l'événement qui reste éternellement neutre et qui nous parle juste. C'est dans ce sens que va délibérément Amar Belkhodja dans ses articles recueillis sous le titre En épiant l'histoire (*). Il y a là un rôle à comprendre, à définir et à assumer sérieusement, qu'il s'agisse de l'écrivant ou qu'il s'agisse du répétiteur. Et, à mon sens, il y a un troisième personnage: celui du chercheur, et encore pas le chercheur professionnel, qualifié de «scientifique»; c'est l'homme de culture et de goût que la curiosité intellectuelle habite et oriente. C'est ce que j'appellerais un «éclaireur». Amar Belkhodja, journaliste, ayant déjà publié plusieurs ouvrages «sur l'histoire», est parfaitement ce personnage, cet auteur, aujourd'hui important et qui essaie d'éclairer quelque détail historique qui nous aurait échappé pour toutes sortes de motifs, par ignorance, par manque d'information, par indifférence, par paresse, surtout par complexe aussi. De fait, En épiant l'histoire, Amar Belkhodja n'est-il pas un «éclaireur», un chercheur au premier degré, un investigateur doué? Il lit l'Histoire dans les grands livres et les archives et nous met en face de la vérité des faits historiques pistés de longue main dans les sentiers enchevêtrés, sans cesse parcourus, sans cesse avec des retours au point de départ, sans doute chaque fois soumis à la réflexion insensible aux absurdités architecturales des interprétations des auteurs coloniaux, rebondissant toujours devant une précieuse observation trop longtemps négligée ou masquée. L'événement historique reprend soudain tout son sens, balayant le préjugé qui incite à décrédibiliser l'auteur algérien et révélant, par le devoir de vérité, ce qui est un fait avéré. Il y a effectivement tant d'événements à épier en lisant les livres, tous les livres sur l'histoire de notre pays, particulièrement pendant la conquête coloniale, à revoir, à analyser, à récrire. «Epier», le verbe est ici efficient. Il faut rendre la parole à l'histoire, a-t-on souvent dit. Eh bien, Amar Belkhodja s'est donné ce droit et cette liberté dans son travail de chercheur-éclaireur intitulé, à raison, En épiant l'histoire. Il en a tiré de bien belles preuves pour confondre, encore une fois, l'esprit colonial et, ce n'est jamais encore suffisant, pour déconstruire l'infernal système colonial militaire, politique, économique, social. Cette intention, de Belkhodja, le journaliste, l'écrivain, a méticuleusement déjà été mise en place dans ses autres travaux, spécialement décrite par Kamel Bouchama, son préfacier: «En effet, souligne ce dernier, rien d'étonnant quand on le connaît... car tout en lui vous enthousiasme, vous envoûte, vous réconcilie avec la culture et vous fait aimer l'histoire et les Hommes de savoir. [... A. Belkho-dja] est un passionné d'écriture. [...] Quand il n'écrit pas, que fait-il alors? [...] Je suis en train de lire, vous répondra-t-il.» Dans sa contribution au dossier «À quoi sert le livre?» (cf. L'Expres-sion du mercredi 7 septembre 2011, p.21), Belkhodja a confié aux lecteurs: «Quel dommage de ne pas avoir trois têtes. L'une pour lire. [...] La deuxième pour écrire. [...] Enfin une troisième pour prier.» On peut dire que tout ce que nous explique Amar Belkhodja à propos de ses conclusions à la recherche historique n'est qu'une condition nécessaire mais non suffisante. Il incite son lecteur à aller plus loin. Le lecteur sera intéressé certainement par l'agencement des chapitres aux titres très évocateurs de l'objet de son travail. On peut dire que l'auteur a épié l'histoire à peu près dans tous ses tours et ses atours. L'expédition française a eu pour objet essentiel l'occupation de l'Algérie. L'effort financier consenti par la France, l'ampleur de l'arsenal et les moyens humains déployés définissent assez le dessein de coloniser le pays. La résistance à l'envahisseur s'est progressivement organisée. L'auteur commence par le personnage le plus connu parmi les plus glorieux de l'histoire de la résistance algérienne contre l'occupation française. Il raconte l'épopée de l'émir Abdelkader. Puis, il évoque des hommes prestigieux - car ils sont mus par un patriotisme ferme - tout en faisant ressortir les caractéristiques de leurs grandes et justes ambitions prochaines. Nous avançons dans une certitude historique complète et où se mêlent tous les événements importants de l'histoire de 1830 à 1962. Ce sont autant d'épisodes de guerre, de militantisme, de nationalisme et, invariablement, d'espoir: l'indépendance au bout de la lutte de libération. Le travail de Amar Belkhodja vaut beaucoup par la sincérité et la passion de ses recherches dans des documents anciens et récents qu'il a inlassablement «épluchés». Il n'a eu de cesse de condamner la barbarie coloniale, le mensonge politique de la conquête, les forfaitures de l'administration française et de sa police. Chaque thème abordé par l'auteur est un article de haute tenue mémorielle et de passion: les titres évoquent des époques différentes, des scènes dramatiques, des populations massacrées, des populations différenciées, des carnages, la misère, les crimes de Bugeaud à Bigeard, la jeunesse insoumise et le mouvement national,... Une idée souveraine s'en dégage: livre d'histoire et enseignement de l'histoire. Des questions se dressent immensément fortes, car elles exigent réponse: quelle histoire enseignée dans nos établissements scolaires? Quel programme? Quelle formation pour l'historien et pour l'enseignant d'histoire?... Mais reconnaissons, avec A. Belkhodja et ceux qu'il cite, que «l'écriture de l'histoire n'est jamais une affaire close (Mme Leïla Benammar Benmansour)» et «Si l'histoire est l'ennemie des menteurs, il va de soi que le greffe (l'historien) qui est chargé de la consigner pour la postérité ne doit pas être lui-même enclin à la déformation et à la falsification (Abdelkader Safir).» Le lecteur partagera très certainement cette idée salvatrice de Amar Belkhodja qui écrit: «Combattre l'oubli, mais combattre aussi et, surtout, le mensonge.» En effet, il faut bien s'ancrer en tête cette double vérité que l'Histoire a la mémoire infaillible, que l'Histoire ne pardonne pas. (*) En épiant l'histoire de Amar Belkhodja, Editions Alpha, Alger, 395 pages.