Une Egyptienne battue par des soldats, une Syrienne écrouée pour son blog anti-régime, une Yéménite prix Nobel: les femmes du Printemps arabe ont ouvert la voie à une lutte de longue haleine pour affirmer leur place dans la vie publique, non sans en payer le prix. De la place Tahrir au Caire à la place de la Perle à Manama, elles ont manifesté en masse, distribué des tracts, dormi sous des tentes et même harangué les foules à l'image de leurs compatriotes mâles. «Les révoltes ont été sans leader, sans visage mais aussi sans genre. Les femmes ont été aussi opprimées que les hommes avant et pendant le printemps arabe», affirme Nadim Shehadé, de Chatham House à Londres. Loin de l'image stéréotypée de la femme arabe au foyer, les «révolutionnaires» de la région ont donné des exemples de courage aussi remarquables que leurs concitoyens, affrontant gaz lacrymogène, matraques, agressions sexuelles et mort. En Egypte, libérales et femmes en niqab étaient en première ligne lors du soulèvement qui a renversé le président Hosni Moubarak mais aussi récemment contre l'armée au pouvoir. Dans une région où il relève de l' «honneur» de l'homme de protéger l'intimité de sa femme, les récentes images d'une manifestante voilée dont les soldats découvraient le soutien-gorge en la matraquant ont indigné et, fait rare, poussé l'armée à exprimer ses «profonds regrets». Au Yémen, les masses de manifestantes en abayas noires ont suscité l'admiration, si bien que l'une des figures de proue du mouvement contre le président Ali Abdallah Saleh, Tawakkol Karman, a été colauréate du prix Nobel de la paix 2011, devenant la première femme arabe à recevoir une telle distinction. En Syrie, où la répression sanglante frappe aussi bien les manifestants que les militants en ligne, la jeune Razan Ghazzaoui, 31 ans, est apparue comme la «blogueuse courage» de la révolte, arrêtée pour avoir animé un blog critique du régime. Elle a fini par être libérée après des condamnations internationales. Une psychanalyste de renom de 65 ans, Rafah Nached, a été également emprisonnée près de deux mois et la célèbre actrice Fadwa Souleimane se déplace de ville en ville pour participer aux manifestations. Sans compter les nombreuses femmes anonymes qui militent en silence, loin des médias. «En Syrie, dans 80% des cas, les proches d'une femme arrêtée n'en parlent pas par peur du scandale», affirme Alia, une militante installée au Liban. Une peur qui s'explique en partie par l'image de la femme encore sous la coupe de la société patriarcale, même si celle-ci varie selon les pays, de la Tunisie championne des droits de la femme à d'autres Etats où elle reste prisonnière de lois rétrogrades. «Il faut militer pour que la dignité de la femme ne soit plus liée à la vision de l'homme. Et cette mentalité ne changera pas en un an», estime Alia. Un an après le début du Printemps arabe, le débat s'installe pour savoir si ces révoltes seront bénéfiques pour les droits des femmes, notamment après les victoires électorales de partis islamistes et la percée des salafistes en Egypte. Certains arguent que faire chuter le système machiste sera beaucoup plus dur que de renverser un Moubarak ou un Ben Ali, d'autres craignent un scénario à l'iranienne où les femmes qui ont soutenu l'instauration d'une République islamique se sont retrouvées privées de certaines libertés. Malgré leur mobilisation, les femmes semblent pour le moment exclues du processus post-révolutionnaire: les Tunisiennes et les Egyptiennes étaient ainsi presque absentes des campagnes électorales. Cela prendra des années avant de savoir si la femme acquerra plus de libertés ou sera au contraire plus opprimée, affirme Sahar al-Atrache, de l'International Crisis Group (ICG). Mais l'important, c'est que les révoltes ont donné naissance à une opinion publique et une société de plus en plus politisée. Et les femmes (...) en font partie, dit-elle.