«L'épreuve du pouvoir a discrédité les islamistes en Algérie» Enseignant en sciences politiques et relations internationales à l'Université d'Alger, Mustapha Saïdj nous livre dans cet entretien, son analyse de la situation qui prévaut en Algérie à quelques mois des élections législatives. M.Saïdj a précisé que les islamistes, qui se voient déjà remporter les élections, se trompent d'analyse. Car, ces derniers, précise-t-il, sont dispersés et se sont discrédités après avoir mis les pieds au pouvoir. L'Expression: Comment qualifier ou voyez-vous le fonctionnement et la composition du mouvement islamiste en Algérie? Mustapha Saïdj: Le mouvement islamiste en Algérie n'est pas un bloc uni et organisé autour d'un seul courant pour prétendre remporter les futures élections législatives. Cette situation est surtout due à deux facteurs importants. En premier lieu, il faut dire que le mouvement islamiste est plutôt divisé et fonctionne en rangs dispersés. En Algérie, les islamistes n'empruntent pas une seule ligne de conduite. L'organisation des courants islamistes en Algérie fonctionne sur plusieurs orientations et suit plusieurs directions dictées par des tendances et des lignes idéologiques différentes. Cela dit, nous avons principalement trois tendances qui composent le mouvement islamiste actif sur le terrain, et qui sont connues des populations, ou plus ou moins du corps électoral. Premièrement, il y a les anciens militants de l'ex-FIS (Front islamique du salut), et ceux qui ont pris les armes au début de l'année 1990 contre le régime. Ces derniers tentent de revenir et réinvestir la scène politique en empruntant toutes les voies possibles. Néanmoins, les nostalgiques de l'ex-FIS sont divisés et composés de deux tendances, opposées. Il y a ainsi ceux qui sont, d'une part, à l'étranger, dirigés par Abassi Madani à partir du Qatar et de l'autre, ceux qui sont en Algérie, lesquels sont conduits soit par Ali Benhadj, soit par l'ex-chef de l'Armée islamique du salut, Madani Mezrag, qui ont largement bénéficié des dispositions de la réconciliation nationale. Et en deuxième lieu, il y a la tendance politique islamique, composée de ceux qui ont mis les pieds au pouvoir et en a fait l'épreuve, en l'occurrence le Mouvement de la société pour la paix (MSP) et les autres dissidents représentés par ceux qui projettent de créer de nouveaux partis, à savoir Mahfoud Djellaba, Djamel Abdeslem et Abdelmadjid Menasra. Pour le MSP, c'est un parti présent dans toutes les institutions et participe à la gestion. Une formation qui demeure encore un partenaire dans la coalition gouvernementale, après avoir quitté une Alliance présidentielle dont elle était un fervent défenseur durant 7 années, et ce rien que pour changer son discours à la lumière des réformes politiques en cours et des élections législatives en perspective. Cette formation se trouve d'abord, très affaiblie et pratiquement vidée de son poids, notamment depuis la mort de son leader Mahfoud Nahnah et par le fait d'avoir abandonné sa position et sa doctrine politique fondée sur l'entrisme pour se projeter vers une opposition dure envers le pouvoir en place. C'est un choix qui lui a coûté aussi bien une forte désertion au niveau de ses cadres qu'au niveau de sa base militante. Du côté dissidents, ces derniers sont, comme je l'ai indiqué, représentés par le Mouvement de la renaissance et la réforme, incarné par Mahfoud Djellaba et Abdelmadjid Menasra. Puis, il y a en troisième lieu la tendance salafiste à laquelle nous devons prêter attention. C'est une organisation islamiste endormie, mais qui possède une force de mobilisation et d'action. Cette tendance, qui est bien organisée grâce à ses larges réseaux sociaux et à son action sociale, peut reproduire le scénario égyptien dans lequel le parti salafiste «AnNour» est monté en puissance, si elle se rallie à une quelconque formation politique. Les islamistes s'estiment favoris pour remporter les prochaines élections législatives notamment du fait de la victoire des islamistes en Egypte, en Tunisie, au Maroc et en Libye, après le Printemps arabe. Pensez-vous qu'en Algérie les islamistes seront, à leur tour, hissés au pouvoir? Je ne pense pas que les islamistes algériens bénéficient des mêmes conditions que les islamistes ayant remporté les élections dans certains pays arabes à la suite des vents des révoltes survenues dans le cadre du Printemps arabe. Dans le Monde arabe où les islamistes ont remporté les élections, il y a eu un vote sanction contre le régime et ses symboles. Les islamistes représentent une force d'opposition aux régimes dictatoriaux et ils n'ont jamais pris part à la gestion. Ils étaient marginalisés et réprimés dans le sang d'où ils symbolisent un idéal, voire une force incarnant le changement jusqu'ici. Cependant, en Algérie les islamistes ont mangé dans le même plat que le pouvoir depuis bien des décennies. Ils ont fait leur épreuve et ont montré leur faible capacité dans la gestion. Pire encore, les islamistes en Algérie ont montré leur vrai visage et leurs desseins. Nous avons ainsi ceux qui ont pris les armes pour s'imposer et prendre le pouvoir par la force et ceux qui ont intégré le pouvoir. Les premiers font désormais peur aux Algériens, tandis que les seconds ont été mis à nu par leurs luttes internes à cause des privilèges et des avantages que leur offrent les postes au sein des institutions. Les dissidences enregistrées au MSP et dans le parti d'El Islah en sont une preuve. C'est dire que l'épreuve du pouvoir a discrédité les islamistes en Algérie. Comment voyez-vous la composition des deux futures chambres du Parlement? A mon avis, on peut présager deux scénarios possibles. Le premier est conditionné par la participation des salafistes et des ex-militants du FIS, mais aussi par la participation du Front des forces socialistes (FFS) aux élections. Dans ce cas de figure, bon nombre d'islamistes, toutes tendances confondues, peuvent voter pour le FFS ou pour le nouveau parti de Mahfoud Djellaba, lesquels incarnent encore l'opposition contre le régime contrairement aux autres islamistes qui sont dans les rouages de l'Etat. Cela supposerait donc l'avènement d'un Parlement pluriel lors des prochaines élections, plus stable et plus représentatif. Le deuxième scénario suppose le retour à la case départ, soit à l'actuelle composition du Parlement, dans le cas où le FFS et les salafistes ne prennent pas part aux élections. Pensez-vous que le MSP fera un bon score lors des élections législatives en perspective? Je ne pense pas. Bien au contraire, je pense qu'il y aura un vote sanction contre le Mouvement de la société pour la paix. Car, il s'est discrédité du fait de ses luttes internes intensifiées par des luttes d'intérêt du fait de sa participation au pouvoir où il a fait preuve d'échec et du fait aussi de sa composition et de ses positions versatiles, dénoncées même par sa base militante.