Le chômage et le sentiment de l'exclusion sont les deux autres motifs de révolte et d'émeute. D'Adrar à Skikda, de Djelfa à M'sila, de Bab Ezzouar à Batna, de toutes les régions du pays nous parviennent les échos et les clameurs de la révolte citoyenne, face à une administration dont l'incompétence est érigée en modèle de gestion. Une sorte de statue de la Liberté de l'incurie à l'algérienne. Pendant ce temps, un ministre de la République, celui de la Solidarité pour ne pas le nommer, délaisse les affaires de son département et s'en va à Constantine où il organise des rencontres factices pour acheter des voix avec l'argent de son ministère, c'est-à-dire l'argent des contribuables destiné aux handicapés, aux veuves, aux orphelins et aux pupilles de la nation. C'est là tout le drame de ce pays, où le fossé ne cesse de s'élargir de jour en jour entre les pouvoirs publics et les administrés, qui ne savent pas à qui s'adresser pour résoudre des problèmes de la vie quotidienne, des problèmes aussi simples que ceux de l'alimentation en eau potable, la construction d'une école ou d'un lycée. Le chômage et le sentiment de l'exclusion sont les deux autres motifs de révolte et d'émeute. Mais au lieu de dialoguer avec les populations et de proposer les solutions qu'il faut aux problèmes soulevés, les autorités n'ont qu'un seul argument à faire valoir, celui de la répression et de la trique. Cette Algérie de l'automne 2003, où les pouvoirs publics font la sourde oreille aux doléances des citoyens tout en essayant de mettre sur pied des associations fantoches et d'amadouer d'éventuels électeurs pour une présidentielle qui devient de plus en plus problématique, est devenue un miroir aux alouettes où se laissent prendre les plus crédules. Aucune couche de la population ni aucune profession n'est épargnée. Que ce soient les enseignants, les populations rurales, les lycéens, les collégiens, les chômeurs ou bien les travailleurs menacés justement de chômage, les Algériens désabusés n'ont qu'un seul moyen de se faire entendre, celui de descendre dans la rue et d'ériger des barricades, comme au bon vieux temps de la Commune de Paris ou de la Bataille d'Alger. La propagande officielle dit que tout va bien, puisque il y a 28 milliards de dollars US de réserve de change, bien plus que la dette extérieure et bien moins que ce qu'il faut investir pour remettre l'économie du pays sur les rails. La même machine de propagande nous susurre que le Président, qui prépare en douceur ses secondes noces, s'en est allé à New York quérir sa dot, et même si elle ne lui a pas été refusée, elle ne lui a été accordée que du bout des lèvres par un Chirac qui s'est contenté de deviser avec lui pendant vingt minutes dans un hall de la maison de verre, ou par un chancelier Schroeder juste venu remercier le Président d'un pays qui a libéré une partie des otages, alors qu'un Poutine, lui-même en mal de reconnaissance, n'a plus rien à vendre. Alors où est le hic? Il est dans cette propension à jeter à tout prix de la poudre aux yeux en occultant les réalités du pays. A force de se dire que charité bien ordonnée commence par soi-même, on finit par se prendre au jeu et par croire que les affaires de malversations ne sont pas connues de tous. C'est bien dommage. Mais à Adrar, deux journées d'émeute se sont soldées par l'interpellation de vingt personnes, qui ont été relâchées. Du côté d'El Harrouch, dans la localité d'Emdjez Edchich plus exactement , la population a bloqué l'axe routier El Harouch-Collo et le chemin de fer Jijel-Constantine, après des heurts avec les forces de l'ordre et l'arrestation de neuf citoyens. A Djelfa, un millier d'élèves ont barré les principaux accès de la petite ville de Guedid en exigeant l'ouverture d'un lycée, après des promesses qui leur sont faites depuis de nombreuses années. Par ailleurs, des collégiens ont bloqué la route nationale 60, à la dechra Dokhala, près de M'sila. Et hier, les émeutes ont éclaté à Bab Ezzouar, dans la banlieue algéroise. Toutes ces convulsions sociales, qui se font sur fond de campagne électorale, sont un peu la goutte qui fait déborder le vase et qui nous rappelle que l'Algérie, malgré ses potentialités, est toujours dans la zone des tempêtes.