Feu de paille ou rendez-vous raté ? En se lançant à l'assaut des symboles de l'Etat, coupables à leurs yeux de répression, les émeutiers d'octobre ne savaient pas que quelques années plus tard, le décor allait être replanté pour reproduire les mêmes souffrances, les mêmes revendications. Que reste-t-il aujourd'hui des acquis d'Octobre? Rien sommes-nous tentés de dire sinon, «une foultitude» de formations politiques, pompeusement appelées partis politiques. Les raisons de ce retour en arrière sont multiples et la tentation de certains de revenir aux années de plomb a généré une apathie dans la société obligée de subir, à son corps défendant, les agressions d'un système qui a su s'adapter aux aléas de la conjoncture. Les formations politiques nées au lendemain des émeutes d'Octobre n'ont pas d'ancrage politique. Ces conglomérats sans véritable assise populaire n'ont pas réussi à traduire les aspirations de liberté, de démocratie et de justice nées du sursaut d'Octobre. Le pouvoir en place en fin manoeuvrier a su comment compromettre militants de partis politiques faire-valoir pour en faire des outils capables de lui assurer la pérennité. Les nombreuses tentatives de baliser la voie vers une démocratie participative, revendication première des émeutiers d'Octobre, ont buté sur la volonté de certains clans rentiers du pouvoir de se maintenir aux commandes du pays. Les institutions installées pour gérer la transition vers une véritable démocratie ont servi la cause des castes accrochées à leurs intérêts. L'épisode du Conseil national de la transition (créé en 1993) traduit dans une large mesure les velléités hégémoniques du pouvoir en place depuis l'indépendance. En puisant des pseudo-représentants du peuple loin des partis politiques représentatifs et dans le microcosme d'associations proches du système, les décideurs n'ont fait que reproduire un vide décrié à l'occasion des manifestations d'Octobre qui avaient paralysé de nombreuses villes durant la semaine du 5 au 10 octobre 1988. La classe politique qui se résumait au Pags, au FFS, à certains courants islamistes activistes nés de l'implosion du MIA de Bouiyali et à quelques formations d'extrême gauche, s'est vue flanquée de plusieurs intrus issus d'une décision politique et d'un petit tour de passe-passe administratif. Au début de l'année 1989, l'Algérie comptait environ 70 partis politiques, tout comme l'Espagne post-franquiste. Cette floraison de formations politiques allait devenir le principal outil pour remettre en cause les acquis d'une révolution pacifique, spontanée mais qui a profité au système pour se réapproprier les espaces de liberté qu'il s'était vu contraint de concéder. Les nombreuses analyses faites pour comprendre la régression que nous vivons aujourd'hui sont vaines puisque les jalons d'un débat responsable et serein n'ont pas été jetés à ce jour. Le terrorisme agité comme un épouvantail pour mieux s'assurer le contrôle de la société continue de servir les relais de ceux qui s'étaient mis derrière les rideaux pour mieux tirer les ficelles d'un jeu qui tend à devenir dangereux ces derniers jours. Le personnel politique ne s'est pas ressourcé, la classe politiques est frappée de sénescence, l'économie n'a pas décollé et la justice n'est toujours pas indépendante. L'intrigue et le consensus continuent d'être les moyens de cooptation dans un système de gouvernance qui ne veut pas faire sa mue. Pour certains, Octobre n'était qu'un feu de paille, pour d'autres il constitue un rendez-vous avec la démocratie, mais un rendez-vous qu'on a su nous faire rater. Octobre 1988 est passé et quinze après, le sang versé par les victimes continue de nous interpeller. A quoi a servi tout cela si l'Algérie se retrouve toujours en gare et sans véritables timoniers?