La campagne pour les législatives de jeudi prochain a commencé samedi. Les réformateurs iraniens semblent d'ores et déjà avoir abdiqué leur ambition d'un Iran démocratique et ouvert sur le progrès, sans pour autant renoncer à sa spécificité islamiste. De fait, le long bras de fer des réformateurs avec les conservateurs religieux semble maintenant devoir se dénouer par la rentrée dans les rangs d'une génération portée par, notamment, le président réformateur Mohamed Khatami, et qui a longtemps cru pouvoir concilier l'Islam et la démocratie en préconisant l'ouverture politique. Il apparaît face au retour en force des conservateurs qu'il n'en est finalement rien. Une vingtaine d'années après son avènement, la Révolution islamique, donnait alors l'impression d'avoir fait, ou de commencer à faire, sa mue, singulièrement par l'émergence d'une nouvelle génération d'islamistes plus portée vers l'universel. L'élection de Mohamed Khatami à la tête de l'Etat en 1997, les victoires aux élections communales d'abord, aux législatives de 1999 ensuite, donnaient alors à voir des réformateurs, vent en poupe, que d'aucuns pensaient alors, au summum de leur ascendant sur le champ politique iranien, capables d'amorcer le virage nécessaire aux réformes à même de démontrer la compatibilité entre islam et démocratie. Les réformateurs donnaient à ce moment l'impression de pouvoir infléchir la politique iranienne vers l'ouverture souhaitée par des portions de plus en plus larges de l'intelligentsia soutenue par la population. Toutefois, cette avancée demeurera théorique du fait même qu'il y avait un obstacle incontournable : le guide de la Révolution l'ayatollah Ali Khamenei qui, en fait, détient la réalité du pouvoir et tranche souverainement dans les contingences surgissant dans les arcanes du pouvoir. De fait, lorsque le Conseil des gardiens de la Constitution (formé par les plus durs des conservateurs religieux) a rejeté 600 candidats, majoritairement réformateurs, aux législatives, -ouvrant l'une des plus graves crises politiques de la République islamique d'Iran-, le Guide suprême a tranché en faveur des conservateurs, sommant même le président Khatami d'organiser des «élections enthousiastes». Après un semblant de résistance, menaçant entre autres de démissionner, le président Khatami a fini par se plier aux «recommandations» du Guide de la nation. De fait, l'initiateur des réformes en Iran se voit paradoxalement contraint de donner le coup de grâce à ses velléités réformatrices. En réalité, le chant du cygne des réformateurs a commencé l'an dernier, après leur cuisant échec aux élections communales du 18 février 2003, par la perte de la majorité des villes qu'ils avaient gagnées en 1999, notamment la capitale Téhéran. Alors qu'en 1997 est apparue, sous l'impulsion de Mohamed Khatami, une jeune génération de réformateurs, de même ces deux dernières années une nouvelle génération de conservateurs, parmi les Iraniens post-Révolution islamique, semble redonner du souffle à un conservatisme, certes pur et dur, mais en panne d'idées. En fait, l'expérience réformatrice de Mohamed Khatami, qui semble devoir se clôturer avec le scrutin de ce jeudi, était dès l'entame, limitée par le cadre étroit et contrôlé, dans lequel elle devait s'exprimer, d'autant plus que le Parlement, composé en majorité de réformateurs, n'a pu mettre en pratique aucune des réformes que les rénovateurs ont suscitées et auxquelles se sont engagés les amis de M.Khatami. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais du fait même que nombre de réformes proposées par les députés proches du président Khatami ont été, soit bloquées, soit annulées par le Guide suprême l'ayatollah Ali Khamenei. Aussi, les réformateurs qui se sont fait piéger par les conservateurs ne se font guère d'illusions. Et la seule liste qui s'est engagée dans la course au Parlement, -après le retrait des listes réformatrices en protestation contre le rejet massif de leurs candidats par le Conseil des gardiens de la Constitution-, semble se résigner à faire de la figuration. C'est du moins l'opinion de son chef de campagne Ali Akbar Mohtachami-Pour, ancien ministre de l'Intérieur réformateur et ancien député, qui a déclaré à la presse: «Nous aurons une minorité au parlement, composée de gens compétents, des réformateurs et des indépendants que nous soutenons.» Lui-même ne se représente pas à cette consultation. Un scrutin qui laisse un sentiment de frustration parmi les militants réformistes qui voient leur ambitieux projet de changer l'Iran, sans toucher à l'essence du régime, partir à vau-l'eau. Sentiment qu'exprime d'ailleurs du fond de sa prison l'intellectuel, Hachem Aghajari, condamné à mort en novembre 2002 pour blasphème, qui estime que les élections du 20 février, «mettent fin aux réformes au sein du régime», indiquant: «Les gens ont compris, avec six années d'expérience, (durée du mandat de Mohamed Khatami à la tête de l'Etat), que la préservation des structures actuelles rend vain tout espoir de réformes et de changement.» En fait, l'Iran n'était pas encore mûr pour la «démocratie islamique» que voulait instaurer M.Khatami et ses amis, laissant ainsi le champ libre au pouvoir autocratique qui revient fort avec la nouvelle génération de conservateurs une relève encore plus stricte sur l'observance du dogme.