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Evocation de l'épopée et perspectives
NATIONALISATION DES HYDROCARBURES AN 4
Publié dans L'Expression le 27 - 02 - 2012


Boumediene et sa fameuse phrase: «kararna...»
«Une seule chose compte, une seule chose est belle: l'effort.» Barjavel
A l'initiative louable du Dr Mourad Preure président du cabinet Emergy, ancien cadre de Sonatrach, se sont donné rendez-vous à l'hôtel Sheraton les pionniers de la première heure du développement de l'Algérie. Des retrouvailles émouvantes avec des cheveux gris mais toujours l'oeil pétillant, prêts à un nouveau challenge avec toute leur fougue d'antan. Mourad Preure a dit ne pas trouver de mots adéquats pour parler de cet événement. «On ne le répétera jamais assez, dit-il, combien cette culture du challenge existait...Lorsque nous parlons avec des techniciens et ingénieurs qui étaient dans les installations pétrolières désertées subitement par les techniciens étrangers en 1971 par mesure de représailles contre les nationalisations, ils nous disent combien ils sont encore surpris par le fait qu'ils aient réussi à contrôler ces installations et à les faire fonctionner sans dommages», dit-il. Monsieur Daoud Sahbi Ingénieur IAP de la première heure et ancien P-DG de Sonatrach qui modérait les débats, donna la parole ensuite à Abdelatif Rebbah qui avait également exercé des fonctions au sein de Sonatrach et qui replaça les conditions qui prévalaient à l'époque et qui ont amené l'Algérie à décider de la nationalisation devant le manque de coopération de la partie française.
Le hasard et l'Histoire
Cette initiative louable de retrouvailles, voire de ressourcement à cette date anniversaire qui est aussi celle du cinquantenaire de l'indépendance, nous a permis de nous retrouver tous jeunes et moins jeunes. Participaient en effet les élèves de 4e année Génie chimique de l'Ecole polytechnique pour qui, ce fut un bain culturel, un ressourcement à la vraie richesse de ce pays, les hommes, mais aussi à la rare possibilité donnée aux jeunes de voir leurs aînés, les moudjahid des hydrocarbures, à l'instar de M.Nordine Aït Lahoussine, ancien ministre et vice-président de Sonatrach au moment des faits, nous expliquer en termes simples, avec beaucoup de verve, qui a emporté l'adhésion des participants, comment cette aventure humaine fut menée avec professionnalisme, détermination et abnégation. Qu'on se le dise! Il nous expliqua comment et dans quelles conditions l'Algérie a indemnisé, à ses conditions, les entreprises françaises qui, voyant la détermination algérienne et la réussite de la nationalisation, revinrent à la table des négociations pour continuer à opérer dans le nouveau cadre des nationalisations.
La plupart de ceux qui étaient sur le front du développement, avaient moins de trente ans. Ce fut un moment de bonheur et de recueillement dans la salle. L'émotion était vive quand les noms de Ghozali P-DG de Sonatrach à l'époque et, surtout, celui du ministre de l'Industrie et de l'Energie Bélaïd Abdesselam, le chef d'orchestre magistral fut évoqué et applaudi. Pour rappel, Belaïd Abdesselam raconte dans son ouvrage «Le Hasard et l'Histoire» paru aux Editions Enag, les pires difficultés qu'a eues l'Algérie à s'imposer dans le concert des nations pour s'imposer et imprimer un développement.
Nous eûmes ensuite à écouter plusieurs intervenants qui, tout à tour, ont expliqué avec des phrases simples comment la fougue de la jeunesse a soulevé des montagnes, comment les bases désertées par les partenaires français qui voulaient étouffer cette décision souveraine de nationalisation des hydrocarbures. Une émotion particulière fut aussi le récit du responsable de forage de la Sonatrach naissante qui eut à développer des trésors d'imagination pour utiliser les appareils de forage. Abdelmadjid Attar, ancien ministre, ancien P-DG de Sonatrach, raconta comment il eut à traverser l'Algérie pour arriver à la base qu'on lui a désignée où tout était à faire.
Monsieur Djelloul Baghli, que l'on ne présente plus, fut l'artisan de la formation des hommes qui eurent à prendre en charge les destinées pétrolières de l'Algérie. Il nous raconta en termes simples comment il contribua pendant la guerre de Libération à envoyer des étudiants partout dans le monde,- parmi eux M.Fechkeur qui fut un des piliers de la formation par la création ex nihilo de l'IAP de Hassi Messaoud. Il nous parla avec émotion de l'abnégation de sacs de ciment que chaque ingénieur et technicien rapportaient des puits, le soir au centre pour construire graduellement le Centre de formation...
Monsieur Baghli nous apprit que la Révolution a permis la formation de près de 900 cadres à comparer avec les 580 diplômés formés en 132 ans par la France. L'IAP-créé, lui aussi à partir de rien et ayant démarré six mois après sa création, fut à bien des égards l'un des pourvoyeurs en cadres.
Prenant la parole - après M.Krissat ancien de l'IAP et ancien P-DG d'une filiale de Sonatrach, qui raconta à son tour comment il se lança dans la bataille avec des moyens dérisoires mais avec une conviction de pionnier-à mon tour, étant moi-même ancien de l'IAP Dar El Beïda, j'ai tenu à apporter ma petite contribution en racontant comment étant à l'époque à Cherchell (Elève officier de réserve) j'eus à écouter, au garde-à-vous, le discours de Boumediene avec son fameux «Kararna te'mim el mahroukate». Quinze jours après, tout ce qu'il avait comme matière grise fut envoyé sur le front du développement. C'est ainsi qu'une centaine d'ingénieurs et de techniciens furent envoyés en renfort dans le Sud pétrolier, des ingénieurs furent envoyés sur le Barrage Vert, d'autres sur la Transsaharienne, d'autres enfin sur le chantier des mille villages agricoles qui devaient contribuer à reconstituer le tissu social de la paysannerie détruit par les bombardements sauvages de l'aviation coloniale.
Avec quelques condisciples, je fut envoyé enseigner dans un lycée militaire et contribuer ainsi à la formation des hommes, autre défi majeur de l'Algérie. A ce propos, j'ai signalé que l'Ecole polytechnique d'Alger a eu un rôle majeur dans la formation de l'élite républicaine du pays, c'est Abdelaziz Ouabdesselam, premier recteur de l'Algérie indépendante, qui eut à ouvrir dans des conditions difficiles, en octobre 1962, l'Ecole d'ingénieurs d'Alger qui deviendra plus tard l'Ecole polytechnique d'Alger. Elle eut d'ailleurs à héberger pendant deux ans l'IAP-cycle court- qui se déplaça plus tard à Dar El Beida. J'ai rappelé au passage que l'Ecole polytechnique fut aussi la colonne vertébrale de l'encadrement du secteur de l'énergie et de Sonatrach; elle donna au pays plus de 1000 ingénieurs dont certains occupèrent de hauts postes (ministres, P-DG, DG...)
La deuxième partie de la rencontre modérée par le Dr Preure qui, à l'occasion, revint rapidement sur la symbolique du 24 février et décrivit rapidement les événements et les tendances majeures de la scène internationale dans le domaine de l'énergie. Deux interventions s'en, suivirent, ensuite celle de M.Nordine Lahoussine qui décrivit l'offre et la demande en expliquant ses variations par la conjoncture internationale, principalement la crise financière et économique et les tensions internationales, notamment vis-à-vis de l'Iran.
La boulimie énergétique de l'Occident
Pour lui, l'Irak peut revenir sur le marché et perturber les quotas en demandant une part plus importante au sein de l'Opep qui est actuellement en dépassement concernant la part qui lui est demandée selon les statistiques de l'AIE...
Mon intervention porta sur l'état de l'énergie dans le monde, j'ai mis en exergue quels sont les défis auxquels fait face la planète (tarissement des ressources et inéluctables guerres pour l'énergie qui sont et seront de plus en plus récurrentes, guerre de l'eau, changements climatiques, famines déforestation et... guerre de civilisations). J'ai tenu à parler des changements climatiques et des 450 ppm de CO2 à ne pas dépasser sous peine de voir le climat incontrôlable. Pour cela la boulimie énergétique en Occident, à savoir qu'un Américain consomme en une semaine ce que consomme un Sahélien en une année, doit cesser, que le fait de s'en prendre à la Chine qui consomme un sixième de la consommation américaine par tête d'habitant, ne règle pas le problème. De plus, détourner du maïs pour en faire du biocarburant pour satisfaire une boulimie en essence débridée sous l'ère Bush est immoral quand on sait qu'un plein d'essence de 4x4 aux Etats-Unis peut nourrir un Africain pendant une année!
J'ai décrit ensuite l'illusion d'un «nucléaire soft» et donné les grandes questions non résolues, (déchets, coûts..réserves). J'ai donné ensuite les pistes de réflexion qui pourraient amener à un développement durable respectueux de l'avenir de la planète en insistant sur l'efficacité énergétique et les économies d'énergie, j'ai décrit rapidement le potentiel en éolien de l'ordre de 300.000 MW multiplié par dix en dix ans, celui du photovoltaïque qui deviendra à terme compétitif. J'ai enfin décrit brièvement les énergies du futur, avant de parler de la nécessité d'une stratégie énergétique pour l'Algérie en regrettant l'opacité autour des gaz de schiste.
Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies, intervient ensuite et apporte quelques éléments de réponse sur la situation de l'énergie dans le monde. Pour lui, les réserves mondiales en hydrocarbures sont beaucoup plus importantes que prévu, ajoutant que le pic pétrolier (peak oil) serait loin d'être atteint dans un avenir proche comme prédit par des spécialistes. «L'enjeu actuel n'est plus lié à la disponibilité de l'offre (en hydrocarbures conventionnels) de plus en plus abondante, mais plutôt à la manière d'exploiter cette offre», indique M.Terzian. La perspective donnée par cet expert concernant le devenir de ces ressources et qui intervient en contresens de tout ce qui a été avancé jusqu'à présent par les spécialistes, est notamment argumentée par l'amélioration du taux de récupération des réserves mondiales en hydrocarbures passé de 35% il y a une décennie à près de 50% actuellement. Ainsi, selon les données avancées par M.Terzian, les réserves mondiales actuelles totalisent 1.400 milliards de barils, ce qui correspond à plus de quatre décennies d'exploitation à un rythme soutenu. La moitié de ces réserves (800 milliards de barils) sont contrôlées par trois pays, à savoir l'Arabie Saoudite, le Venezuela et le Canada, tandis que quatre autres pays disposent chacun de 100 milliards de barils: Emirats arabes unis, Irak, Koweït et Iran.
Sans vouloir ouvrir la polémique, M.Terzian jette aux orties tout un travail sérieux du géophysicien Marion King Hubbert dans les années 50, qui avait prédit le pic pétrolier américain vers 1973, et qui eut effectivement. Il jette à la poubelle les travaux de géophysiciens tels que Campbell Lahérrere de l'Aspo-dont c'est le travail, et qui traitent dans leurs travaux de la survenance du peak oil en expliquant par exemple que toutes les réserves des pays du Golfe et celle du Venezuela ont été surévaluées par les Etats en l'espace de quelques mois en 1986. On parle alors de réserves politiques parce que les statistiques disponibles sont celles données par les Etats. Pourtant, on sait qu'un gisement comme Gawar en Arabie Saoudite est sur le déclin malgré les dénégations du palais... Enfin, il balaie d'un revers de main la dernière intervention de Christophe de Margerie, patron de Total, qui dit que nous serions bien contents d'atteindre 100 millions de barils/jour.
Monsieur Terzian voit dans la politique un jeu, une manipulation des «grands». Nous sommes d'accord jusqu'à un certain point. Cependant, pour nous, l'ère du pétrole bon marché est révolue, on trouvera de moins en moins de pétrole et il sera de plus en plus cher et comme le dit si bien Cheikh Zaki Yamani, ancien ministre du Pétrole saoudien, «l'âge de pierre ne s'est pas arrêté parce qu'il n'y a plus de pierre».
Dans une intervention remarquable, M.Abdelmadjid Attar a tenu à décrire en honnête courtier les potentialités de l'Algérie. Nous retenons ses arguments qui battent en brèche les adeptes, il y a encore du pétrole à découvrir, en tant que géologue il dit que ce qu'il y avait à découvrir en termes de structures potentielles l'a été fait. Nous découvrons du pétrole là où les conditions géologiques sont favorables. Par ailleurs, il a tenu à démystifier-pas suffisamment à notre avis-l'oil-dorado des gaz de schiste en donnant les conditions de leur exploitation.
Nous ajoutons de l'eau au moulin. L'Algérie disposerait de 6700 milliards de m3 (Bassin de Ghadamès et deTindouf), à comparer aux 4500 milliards de m3 de gaz naturel conventionnel. Une telle exploitation ravageuse n'est rendue possible que grâce à la technique de fracturation hydraulique des roches, ainsi qu'à une récente amélioration des méthodes d'extraction, en particulier par forage horizontal.... Chaque «frack» nécessite quasiment 15.000 mètres cubes d'eau, un puits pouvant être fracturé jusqu'à 14 fois. Il faut savoir en effet qu'il faut environ 500 à 600 forages si on veut produire 1 milliard de m3 et 1million de m3 d'eau douce par milliards de m3 de gaz valeur minorée selon d'autres experts. D'où allons-nous les prendre? et où allons-nous les rejeter quand ils seront pollués par le millier de produits chimiques pour la plupart aromatiques et cancérigènes? Nous devons nous interroger si les gaz de schiste sont un nouveau miracle pour un pays rentier comme l'Algérie ou est-ce une malédiction de plus qui renvoie aux calendes grecques la mise en ordre de ce pays. Dans tous les cas, un débat national dans le cadre d'une stratégie énergétique s'impose.
24 Février 1971
Depuis plusieurs années, les découvertes ne couvrent pas la production. Que doit faire le pays? Nous n'avons pas encore, il faut le regretter, une vision claire de l'avenir des énergies renouvelables, car nous peinons à mettre en place une stratégie énergétique basée sur un modèle prévisionnel à 2030, où les énergies renouvelables prendraient graduellement la place des énergies fossiles. Encore une fois, notre meilleure banque, ce ne sont pas les banques américaines, c'est notre sous-sol. Doit-elle revoir toute sa politique énergétique d'une façon fondamentale? Dans ce cas, mettre en place des états généraux de l'énergie qui aboutiraient à un cap. C'est cela qu'il faut faire sans plus tarder, cela donnera des opportunités de travail et de création de richesses aux milliers de diplômés universitaires et de la formation professionnelle; les défis du futur (énergie, eau, l'environnement et la sécurité alimentaire) doivent être appréhendés dans ce cap que nous appelons de nos voeux, en mettant en place ce fameux bouquet énergétique où toutes les énergies renouvelables et non renouvelables seraient utilisées. Il nous faut en rationaliser la consommation et la production. Le développement durable prendra alors sa pleine signification. La stratégie énergétique est l'affaire de tous, le gouvernement, la société civile, les universitaires et même les écoliers - ceux qui seront les concernés en 2030 - à qui on inculquerait une nouvelle vision progressive du développement durable visant à former l'écocitoyen de demain à la place de l'égo-citoyen d'aujourd'hui.
Cette rencontre conviviale a donné l'occasion aux élèves ingénieurs de l'Ecole polytechnique d'approcher ces «géants» de l'ombre qui ont, chacun à sa façon, contribué à donner à cette Algérie le goût du combat, du sacrifice sans rien demander en échange et qui sont reconnaissants qu'on leur donne encore la possibilité de témoigner que l'Algérie est une conquête de tous les jours, qu'il y a toujours un avenir si on a la foi chevillée au corps. Pourquoi pas alors un nouveau 24 février de l'intelligence qui permette au pays de sortir de la malédiction de la rente, en militant inlassablement pour une Algérie du travail bien fait, de la sueur, comme l'ont fait ces pionniers qui disent n'avoir fait que leur devoir pour le pays.


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