A la nationalisation des hydrocarbures, l'Algérie était dépourvue de moyens. Elle ne pouvait pas assurer la reprise de la production pétrolière dans de bonnes conditions, après le départ des sociétés étrangères. Le pays faisait, en fait, face à deux défis majeurs : négocier convenablement les accords qui se rapportent à la nationalisation, d'une part, et faire en sorte que la production reprenne, d'autre part. Pétris de nationalisme et de patriotisme, le peu d'ingénieurs et de techniciens en mesure de faire tourner de grosses machines dans le forage avaient pris l'engagement de tenir le pari de faire fonctionner les plateformes pétrolières qui existaient. C'est l'exploit accompli par une génération formée à la hâte à l'industrie pétrolière, dans une Algérie à peine sortie du colonialisme. Cet immense défi a été amplement discuté à la faveur du Forum d'Alger, une rencontre organisée hier dans la capitale par le cabinet Energy et qui a réuni d'éminents experts en énergie, dont Nordine Aït Laoussine, ancien ministre et consultant international. Ce dernier a souligné que «nous avions réussi à remettre en marche notre production, après le départ des étrangers, parce que nous y croyions». L'ancien ministre est revenu sur l'historique de la nationalisation des hydrocarbures, sur les difficultés auxquelles le pays faisait face, le tout entrecoupé par des anecdotes, des séquences incrustées dans le temps. Il évoque, par exemple, le fait que Total fut la première société à avoir accepté la nationalisation des hydrocarbures, tout en exigeant des indemnités. L'Algérie a promis de payer, mais pas au-delà d'un certain seuil. Aït Laoussine se souvient, à ce propos, de cette déclaration du président Houari Boumediène : «Nous sommes disposés à mettre sur la table cent millions de dollars, et pas un centime de plus.» L'ancien ministre parle également de séquences liées aux négociations sur les indemnités, souvent difficiles. Il retient entre autres des discussions un peu inamicales avec le PDG de Total de l'époque. «Je l'avais reçu dans mon bureau et je me rappelle que la discussion avait tourné court, parce qu'il n'avait pas cessé de parler indemnités. A un moment donné, je lui avais dit que nous n'avions rien à nous à dire, en l'invitant à prendre congé de la salle. C'était en fait une instruction de Belaïd Abdesslem, alors ministre de l'Industrie. Le ministre m'avait dit ceci : ‘‘si jamais ce PDG vous parle d'indemnités, éconduisez le dehors” ; et je m'en suis exécuté, car une instruction de Abdesslem, ça ne se discute pas.» Cet expert international a, par ailleurs, relevé que le premier puits foré par des Algériens, après la nationalisation, était situé à El Borma, à un jet de pierre des frontières algéro-tunisiennes : «Avec peu de moyens, nous étions arrivés à le faire, à forer dans des zones que nous ne maîtrisions pas du point de vue topographique, des régions qui manquaient de tout : pas de gens formés, pas d'équipements. En 1971, il n'y avait que deux centres qui dispensaient des formations pour techniciens, et un seul centre qui formait des ingénieurs. L'IAP a été créé dans des conditions très difficiles, l'institut n'avait au départ ni encadrement ni budget.» Abdelamadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach et ancien ministre, était parmi les premiers «contingents» d'ingénieurs. Présent à la rencontre d'hier, il a exhumé des souvenirs lointains. Abdelmadjid Attar se rappelle de ce long trajet Béchar-Hassi Messaoud qu'il avait fait en voiture (durant toute une nuit) et qu'une fois arrivé (au petit matin), à Hassi Messaoud, un responsable lui avait déclaré qu'il n'y avait pas de temps à perdre, et qu'il fallait commencer le travail de suite. Attar reconnaît que tout ingénieur qu'il était, fraîchement diplômé, il ne connaissait rien aux machines de forage de fabrication canadienne. Mais il fallait foncer droit dans la technicité et commencer, s'enthousiaste-t-il. Y. S.