La conférence ministérielle a brossé hier un sombre tableau de la situation dans le monde musulman. Ce n'était pas la joie hier dans la vaste salle de Conférence de Putrajaya, nouvelle capitale administrative de la Malaisie, spécialement ouverte pour cette occasion. Les chefs de la diplomatie des Etats membres de l'organisation de la Conférence islamique s'ils ne partagent pas beaucoup de points de vue, se sont à tout le moins accordés à reconnaître que le monde musulman vit une situation de crise sans précédent. Pouvait-il en être autrement lorsque les ministres sont contraints de faire le constat patent, qu'outre le fait que les pays musulmans sont en constant recul dans le traitement des affaires du monde, doivent, peu ou prou, faire face, qui à des crises politiques, souvent sans solution, qui à des problèmes économiques récurrents. Ce qui, l'un dans l'autre, fait que les musulmans se sont trouvés dans l'incapacité d'avoir leur mot à dire dans l'évolution accélérée que connaît la planète depuis une décennie et l'émergence des Etats-Unis comme superpuissance mondiale. Aussi, à Putrajaya, les ministres des Affaires étrangères des 57 Etats membres de l'OCI, représentants plus d'un milliard d'êtres humains, ont dû faire le triste constat de l'impuissance des musulmans. Ce que résume parfaitement le secrétaire général de l'OCI, Abdelouahed Belkeziz, lorsqu'il indique: «Les musulmans sont en proie à un sentiment d'impuissance et de frustration, alors que certains pays sont occupés, d'autres sont soumis à des sanctions, un troisième groupe menacé et un quatrième accusé de parrainer le terrorisme». Un tableau autant représentatif que lugubre de la situation qui est en vérité celle du monde musulman. La vérité aussi, est le fait que, sans conteste, aucun des 57 pays de l'OCI présents à Putrajaya ne sauve la face d'un monde musulman meurtri et divisé, plus grave encore, désarmé face à l'amalgame fait entre Islam et terrorisme. Il est attendu du sommet de l'OCI qu'il prenne en charge cet aspect, à tout le moins négatif, de l'Islam aujourd'hui au coeur d'un maelström qui remet en cause les fondements de tolérance qui sont ceux de la religion musulmane. Expliquer l'Islam ne suffit plus dans un monde dominé par une communication à sens unique alors que les grandes puissances parasitent tout point de vue s'opposant à leur hégémonie. Cela est aujourd'hui vrai pour la superpuissance mondiale américaine qui imposa à la communauté internationale sa seule lecture de la situation induite par le terrorisme international, avec comme résultante sa guerre contre l'Irak. Certes, le 11 septembre 2001 est passé par là! Mais cela n'explique pas tout, sinon le fait que cela a constitué une fabuleuse occasion pour les Etats-Unis de conforter leur ascendant et leur hégémonie sur le monde après la chute du bloc soviétique. Le moins qui puisse être relevé est que le monde musulman d'une manière générale, l'OCI plus particulièrement, n'ont pas su réagir avec la promptitude attendue, divisé qu'il était entre atermoiement et apathie. Aussi, il est curieux de voir quelle stratégie va adopter le dixième sommet de l'organisation de la Conférence islamique pour remettre les choses à l'endroit et redonner à l'Islam et aux Musulmans leur part de vérité dans un monde en pleine évolution géostratégique. Comme l'observe avec pertinence un chercheur malaisien, le centre de gravité du monde islamique a tendance à sortir de son giron traditionnel, qu'est le monde arabe, pour s'étendre plus à l'Est, en Asie du Sud-Est notamment, où il trouve à s'épanouir. De fait, le pays musulman le plus peuplé, l'Indonésie - 220 millions d'habitants -, et le seul pays musulman ayant réussi à asseoir une économie moderne et en pleine expansion, la Malaisie, se trouvent comme par hasard dans cette région du Sud-Est asiatique. Englué dans un conservatisme décadent, souvent nimbé d'intégrisme, le monde arabe n'arrive ni à résoudre les problèmes inhérents à son développement ni, a fortiori, jouer le rôle qui aurait dû être le sien dans les crises palestinienne et irakienne singulièrement. Au contraire le monde arabe, partagé et manipulé, n'a jamais su voir où se trouve l'intérêt de la nation arabe. Le fait que les Arabes n'ont pratiquement pas droit de cité dans des affaires les concernant en premier chef, l'occupation par Israël des territoires palestiniens et de l'Irak par la coalition américano-britannique, montre combien le marasme politique qui traverse le monde arabe est profond le mettant, en fait, en marge du développement mondial. Pour ce qui est du sommet de l'OCI ce dernier proposera aux chefs d'Etat un document qui «condamne fermement l'agression militaire israélienne contre la souveraineté et les territoires de la République arabe de Syrie et de la République du Liban le 5 octobre». L'OCI dans ce même document réclamera un «calendrier précis et clair» pour l'Irak et le désengagement de la coalition du pays, en fait la fin de l'occupation. Sans réel enthousiasme, le document de l'OCI prend acte de l'existence du Conseil transitoire irakien de gouvernement, l'estimant néanmoins de «pas provisoire important dans la bonne direction», insistant toutefois sur le fait que les Nations unies «devraient jouer un rôle central en Irak, dans tous les aspects de la transition : politique, économique et sécuritaire». Sans surprise, l'OCI exclut que des membres de cette organisation puissent envoyer des troupes en Irak. Notons cependant que la Turquie, membre de l'OCI, qui a répondu probablement à la demande des Etats-Unis pour l'envoi de troupes en Irak, met quelque peu Ankara en porte-à-faux parmi les 56 autres membres de l'OCI. C'est demain que s'ouvre officiellement le 10e Sommet de l'Organisation de la Conférence islamique en présence d'au moins trente chefs d'Etat qui ont confirmé leur participation. Ce qui ne sera pas le cas du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, qui devait prononcer un discours devant le sommet de l'OCI et s'est décommandé en dernière minute. Cette absence de Kofi Annan a été confirmée hier par un porte-parole des Nations unies. Le secrétaire général de l'ONU sera remplacé à Putrajaya, par Lakhdar Brahimi, représentant spécial de l'ONU en Afghanistan, lequel prononcera un discours.