En Syrie, Bachar El Assad résiste Delenda «Delenda est Carthago» «Il faut détruire Carthage!» Caton l'Ancien Bien que les Romains aient remporté les deux premières Guerres puniques, ils connurent quelques revers et humiliations dans leur lutte d'influence contre la cité-Etat maritime et phénicienne de Carthage. Cela les poussa à rechercher par vengeance la victoire totale qui s'exprime par cette formule. Carthage s'acheva par la destruction complète de la ville à la fin de la Troisième guerre punique. La cité fut brûlée, rasée et les survivants vendus en esclavage. Selon la tradition, Caton l'Ancien prononçait cette formule à chaque fois qu'il commençait ou terminait un discours devant le Sénat à Rome, quel qu'en soit le sujet. Peut-elle s'appliquer à la Syrie? Depuis le 17 février 2011, la révolte gronde à juste titre en Syrie. C'est un fait, des morts tous les jours sont à déplorer. C'est un fait que la rébellion est aidée en armement lourd, on parle même de mercenaires occidentaux arrêtés par larmée syrienne qui est en train de payer un lourd tribut, mais qui est absente des statistiques. Réagissant au massacre de Homs, le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé a affirmé que les autorités syriennes «devront répondre de leurs actes devant la justice» internationale, M. Juppé a aussi appelé «la Chine et la Russie à entendre la voix des Arabes et de la conscience mondiale et à se joindre à nous» pour condamner la répression en Syrie. Lundi à New York, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a affirmé que le Conseil de sécurité est «manipulé» sur la crise syrienne comme il l'avait été sur la Libye. L'émissaire des Nations unies reçu par Al Assad lui a soumis des propositions pour une sortie de crise. Aux dernières nouvelles, la Syrie y a répondu favorablement. Historique de la Révolte syrienne Il était une fois un pays arabe riche de son histoire plusieurs fois millénaire qui fut un terrain de conquête et de passage de différentes civilisations qui se sont succédé. Nous pourrions citer les plus importantes: perse, grecque avec Alexandre le Grand, romaine, la période florissante des Omeyyades et enfin la période ottomane. Dès la moitié du XIXe siècle au nom de la défense des minorités - notamment chrétiennes - les Anglais et les Français fomentent des troubles. Des émeutes ont alors lieu, les plus importantes sont celles de Damas, des Chrétiens en payèrent le prix. Un homme, en l'occurrence l'Emir Abdelkader, exilé par les Français, eut le courage et la dignité au nom de l'amour du prochain prôné par l'Islam de sauver d'une mort certaine des milliers de chrétiens, hommes, femmes et enfants, qu'il ramena dans sa maison, nourrit et soigna jusqu'à la fin des émeutes. Résultat des courses: la perfide Albion et son acolyte français imposèrent à l'Empire ottoman vieillissant un moutassarif, sorte de gouverneur chrétien pour s'occuper des affaires des Chrétiens. L'histoire de l'ingérence occidentale continua et les accords de Sykes-Picot durant la Première Guerre mondiale alors même que la guerre faisait rage, mirent en coupe réglée l'Empire ottoman. Les Français héritèrent de la Syrie, du Liban, du sandjak d'Alexandrette, les Anglais occupèrent l'Irak, redessinant de ce fait le Moyen-Orient non pas en fonction des ethnies et civilisations mais en fonction des intérêts des envahisseurs. C'est à cette occasion dit-on, que le général Gouraud piétinant à cheval le catafalque du mausolée dans la Mosquée des Omeyyades interpelle Salah Eddine el Ayyoubi.: «Saladin, le petit-fils de Godefroy de Bouillon est devant toi, où sont tes troupes?» Après une lutte incessante, la Syrie fut indépendante en 1946. Depuis, elle connut plusieurs convulsions jusqu'au jour où le général Hafed El Assad prit le pouvoir et le garda pendant trente ans jusqu'à sa mort en 2000. Son fils Bachar el Assad suscita beaucoup d'espoirs qui furent finalement déçus, le nouveau président verrouillant le champ politique, les libertés et laissant à sa famille et à son clan de s'accaparer de l'essentiel des ressources du pays amenant le désespoir. «Le printemps arabe» A la faveur du printemps arabe, un vent d'espoir souffla aussi sur la Syrie et beaucoup parmi eux pensèrent que le moment de secouer le joug était venu. D'autant que les révoltes arabes arrivèrent rapidement à bout de Ben Ali, Moubarak. Un premier os dans la stratégie occidentale de reformatage du Monde arabe apparut aux Occidentaux avec la résistance d'El Gueddafi avec son fameux «zenga zenga, dar dar». Une résolution de l'ONU arrachée donna des ailes au camp occidental pour «sécuriser» l'espace aérien libyen en théorie mais en fait, casser le régime. Quatre heures après le vote de la résolution, l'aviation française démolissait des colonnes militaires libyennes. Résultat des courses: El Gueddafi fut attaqué, fut fait prisonnier par les Occidentaux et puis fut livré à ses ennemis qui le lapidèrent au-delà de toute horreur sous l'oeil impavide des Occidentaux qui fêtèrent la libération de la Libye avec BHLévy. Résultat des courses: le chaos, une guerre civile qui ne dit pas son nom, des menaces de partition, mais qu'on se rassure, les puits de pétrole sont intacts et la production recouvre graduellement le débit d'avant-guerre. En Syrie, Bachar El Assad résiste mais il faut bien reconnaître que la Russie et la Chine échaudées par la tromperie de la résolution sur la Libye où elles furent en définitive exclues de l'eldorado libyen, fit qu'elles s'opposèrent à toutes résolutions d'ingérence militaire. Les Français les Anglais et les Américains usèrent de tous les subterfuges, envoi d'armes, intronisation d'un CNS sur le modèle libyen pas encore reconnu si ce n'est comme mouvement parmi d'autres. Utilisation des réseaux Facebook, envoi d'armes par les potentats du Golfe, l'inamovible baudruche quatarienne qui pense que tout le monde est «achetable» il suffit d'y mettre le prix, le fossile saoudien et même la Tunisie qui se découvre une âme de révolutionnaire des droits de l'homme en ayant obtempéré à l'ordre d'abriter la première conférence des amis de la Syrie. Malgré tout ce tapage, malgré les reportages partiaux, Al Assad tient bon. La Russie ayant pu faire voter une résolution équilibrée où pour la première fois on parle de violence du côté des «révolutionnaires», et où on ne parle plus du départ de Bachar el Assad. Kofi Annan, qui eut le privilège d'être aux premières loges en fermant les yeux sur l'aventure irakienne en 2003, fut nommé par le Conseil de sécurité le 10 mars. De ses entretiens avec le président syrien il réussit à arracher un accord «humanitaire». Cet accord n'a pas plu au camp occidental. Dans la deuxième conférence des amis de la Syrie, qui eut lieu la semaine dernière en Turquie, c'est encore et toujours une rhétorique guerrière, on parle de reconnaissance du CNS avec Borhan Ghalioun protégé de la France et pour cause, le professeur Ghalioun était enseignant à Paris. Sans même attendre les résultats de la dernière initiative acceptée par Damas et qui consiste en l'envoi d'observateurs des Nations unies - le rapport des observateurs arabes ayant été torpillé par le Qatar qui ne voulait pas entendre parler de paix - Les Etats-Unis commencent à condamner. Mieux, le ministre français Juppé exige en vain un ultimatum pour la réponse de Damas. Là encore, les Russes ont tenu à mettre les choses au point. Kofi Annan n'a de compte à rendre qu'au Conseil de sécurité et la conférence des amis du peuple syrien n'a aucune légitimité. Dernier rebondissement, la réunion des chefs d'Etat arabes le 29 mars à Baghdad, qui revient sur la scène internationale, a permis de rééquilibrer le débat. Nouri el Maliki remplace en termes de présidence tournante de la Ligue arabe, le Qatar qui, faut-il le rappeler, a acheté le tour de la Palestine pour quelques centaines de millions de dollars, en vain. A Baghdad le communiqué parle de la nécessité d'un dialogue pour Bachar el Assad avec l'opposition mais on est loin de l'acharnement qatari qui voulait déstabiliser la Syrie, en mettant à la place de Bachar el Assad un président fantoche malléable par l'Occident. Nouri el Maliki s'en est pris d'ailleurs violemment à l'Arabie Saoudite et au Qatar en disant que Bachar El Assad restera et qu'il est temps de cesser de diaboliser les chiites... Que peut-on dire en conclusion? Voilà un régime stalinien qui tient d'une main de fer son pays mais qui - par une chance insolente sans doute - tient de par l'aide de la Chine et surtout de la Russie qui voit d'un très mauvais oeil cette tentative de décomposition-recomposition - Le chaos constructeur de Condoleezza Rice - du Moyen-Orient où à l'évidence, ils n'auraient plus leur place comme ce qui s'est passé il y a un siècle de cela. L'Occident avait pensé qu'en remettant Al Assad en selle auprès de la «communauté internationale», encore qu'il faille comprendre par cela les pays occidentaux et Israël,ils arriveraient à le détacher de l'Iran qui est la destination finale du Chaos moyen-oriental qui ferait apparaître définitivement Israël comme le gendarme à demeure, d'autant que l'Egypte a mis un genou à terre depuis Camp David. Il ne resterait alors plus rien du «Front du Refus» mis en place par Boumediene, Al Assad et El Gueddafi pour sauver la Palestine. Pourtant, la boîte de Pandore syrienne est riche en calamités. Cette région du monde qui vit le début du christianisme, qui donna à l'Eglise six papes mais qui dans le même temps a donné à l'Islam ses heures de gloire avec les Omeyyades est un subtil équilibre de la mosaïque des religions qui firent du vivre-ensemble leur credo. On le voit avec les cris pathétiques des chrétiens syriens qui appellent à ne pas ouvrir cette boîte de Pandore. Ceci dit, Al Assad devra dans tous les cas, organiser la transition, d'une façon endogène et dans les meilleurs délais. La Russie ne continuera pas longtemps à protéger la Syrie surtout si elle reçoit des garanties quant au maintien de sa flotte en Méditerranée. Sinon à Dieu ne plaise, la phrase de Caton à propos de Carthage s'appliquera à la Syrie et c'est peut-être cela que les boute-feux occidentaux recherchent. Israël devra seule être maître du Monde arabe.