L'anp s'est solennellement engagée à respecter la volonté populaire. Qu'est-ce que l'alternance, sinon la liberté qui est laissée à la volonté populaire de s'exprimer en toute souveraineté pour renouveler sa confiance au président de la République en exercice ou au contraire pour élire quelqu'un d'autre à sa place. A l'issue du vote, la minorité s'incline devant le choix majoritaire, même si c'est d'une seule voix, dès lors que le scrutin s'est déroulé dans la transparence et la régularité. On est là, bien entendu, dans le cas de figure où les institutions de la République sont mises au service exclusif de l'Etat de droit et de la démocratie. Mais en Algérie, les pesanteurs sociologiques, politiques, historiques, voire tribales et régionalistes influent négativement sur ce beau schéma. Interférences, chantages, coups fourrés, bourrages des urnes, fraudes massives, détournement des votes des illettrées, toutes les méthodes sont bonnes pour vider de son sens l'expression de la volonté populaire. Il est même arrivé qu'on a fait voter des morts ou des personnes qui ont changé de domicile, dans des scénarios qui rappellent le livre de Gogol: «Les âmes mortes». On nage en plein absurde et la chose aurait été cocasse si elle ne se déroulait pas sur fond de drame humain. Parmi les pesanteurs qui viennent parasiter la régularité des urnes, on peut en citer deux principales : le poids de l'institution militaire d'un côté et celui de l'administration de l'autre. Jusqu'à une certaine époque, ces deux institutions ont pratiquement travaillé la main dans la main, sinon que la deuxième a obéi à la première. Elle n'en a été que l'instrument chargé d'exécuter des ordres venus d'ailleurs. Ainsi donc, l'administration à différents niveaux et dans ses différents rouages, a contribué à organiser des fraudes, des simulacres d'élections en élaborant de faux rapports et en gonflant les chiffres et les résultats, changeant à sa guise les noms des élus. Tel sera considéré comme élu à la place de tel autre, en fonction d'un mécanisme bien huilé. Pour la presse aux ordres et les autorités en place, les apparences sont sauves, du fait qu'il y a bien eu un scrutin, des électeurs et des élus. Quant à la régularité du vote, c'est une autre paire de manches. La nouveauté cette année vient du fait que l'institution militaire s'est solennellement engagée à respecter la volonté populaire et à s'incliner devant le président qui sortira des urnes, fut-ce Abdellah Djabellah. En d'autres termes, l'ANP ne favorisera aucun candidat et restera neutre dans le jeu politicien. C'est un élément fondamental. Reste maintenant la partialité de l'administration. Malheureusement, la fraude est entrée dans les moeurs et il y a à craindre qu'on aille droit vers un scrutin verrouillé en faveur du candidat en poste, qui contrôle par le biais de son ministre de l'Intérieur, voire du Chef du gouvernement, l'organisation et les résultats du vote. L'épisode de 1999 est dans toutes les mémoires. A la suite de cas de fraude constatés notamment sur les résultats des urnes itinérantes, les six candidats potentiels qui étaient entrés en lice contre Abdelaziz Bouteflika, s'étaient retirés, enlevant ainsi sa crédibilité même au scrutin et à la légitimité du candidat qui avait été élu dans des conditions contestées. M.Ahmed Taleb El Ibrahimi est donc dans son droit d'exiger la neutralité des décideurs: celle effective de l'institution militaire mais aussi celle du gouvernement. «Les moyens de l'administration sont utilisés au profit du candidat-président», affirme-t-il. Si les candidats potentiels se retirent faute de garanties suffisantes, le scrutin risque de se transformer en mascarade électorale. Ce ne sont pas les quelques candidats faire-valoir qui contribueront à donner une légitimité à une élection entachée d'irrégularités. Ils ne sont là que pour la galerie.