Le Liban est devenu l'otage du conflit dans la Syrie voisine après une série d'incidents meurtriers impliquant des adversaires et des sympathisants du régime du président Assad, estiment des experts. «Ces incidents ont transmis un message très clair: on peut faire exploser le Liban à tout moment. Le message a été reçu», affirme Ghassan al-Azzi, professeur de sciences politiques à l'Université libanaise. «Divisé entre pro et antisyriens, le Liban est devenu l'otage de la crise» qui secoue le pays voisin depuis 14 mois, ajoute-t-il. Le 12 mai, l'arrestation d'un islamiste sympathisant de la révolte syrienne met le feu aux poudres à Tripoli, la grande ville du Nord libanais: des accrochages entre sunnites anti-Assad et alaouites prosyriens font dix morts; un dignitaire sunnite critique de Damas est ensuite tué par l'armée, provoquant des heurts entre pro et antisyriens à Beyrouth qui ont fait deux morts. Selon les analystes, il existe un lien direct entre ces incidents et les récentes accusations des autorités syriennes de plus en plus irritées par le soutien aux rebelles syriens dans le nord du Liban, frontalier de la province de Homs. «Damas voit désormais une partie du Liban comme son ennemi», estime Hilal Khachane, professeur de sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth. L'ambassadeur syrien auprès des Nations unies, Bachar Jaafari, a affirmé récemment que «certaines régions du Liban proches de la frontière sont devenues un nid de terroristes d'Al Qaîda et des Frères musulmans». Même l'ONU a indiqué avoir reçu des informations sur l'existence de trafic d'armes entre les deux pays et plusieurs personnes impliquées ont été arrêtées au Liban. Fin avril, une cargaison d'armes en provenance de Libye et destinée à la rébellion a été saisie à bord d'un navire arraisonné dans le Nord. «La Syrie ne peut pas tolérer que le nord du Liban devienne une importante base de soutien aux opposants», estime Paul Salem, directeur du centre Carnegie pour le Moyen-Orient. «Il est clair que la Syrie fait pression sur ses amis et ses alliés au Liban pour régler ce problème et cela a causé de la tension» indique-t-il. Le puissant Hezbollah chiite, principal soutien du régime syrien au Liban, dispose avec ses alliés de la majorité des portefeuilles au sein du gouvernement de Najib Mikati. Le parti chiite est resté en retrait lors des derniers incidents, tout en reprochant à l'opposition hostile à Damas d'avoir transformé le Liban en «passage» pour les rebelles. L'opposition accuse de son côté le régime de M.Assad de vouloir semer le chaos, avec l'aide de ses alliés. Selon M.Salem, quelle que soit la partie derrière les incidents, le message est clair: «si le Nord veut soutenir l'opposition syrienne, il en paiera le prix». Une enquête est en cours pour déterminer les circonstances de la mort dimanche du dignitaire sunnite Ahmed Abdel Wahed, connu pour ses critiques du régime syrien, et d'un autre cheikh, tués par des tirs de l'armée. Dans les milieux sunnites, plusieurs voix se sont élevées pour accuser l'armée de faire le jeu de la Syrie. Si les analystes estiment que le meurtre ne peut avoir été commandité au niveau du commandement de l'armée, ils notent toutefois des tentatives de pousser l'institution militaire à s'engager davantage contre tout soutien aux opposants syriens. «On veut pousser l'armée libanaise à agir pour que le Nord ne soit plus utilisé contre le régime de Damas», souligne M.Khachane.