Scène de la vie ordinaire au Liban : un avion de l'armée israélienne a survolé dimanche soir pendant deux heures la côte libanaise, remontant du sud jusqu'au nord, en passant au-dessus de Beyrouth. Depuis 1948 en effet, le nombre de violations de la souveraineté libanaise par Israël se compte par milliers. Sans que l'ONU puisse y mettre le holà, et rappeler à Israël ses obligations internationales. « Dimanche à 22h14 locales (19h14 GMT), un avion israélien a violé l'espace aérien libanais au niveau de la ville de Tyr (sud) et s'est dirigé vers la localité de Chekka (nord), en passant au-dessus de Beyrouth, avant de revenir vers le sud », indique un communiqué de l'armée. Selon le texte, ce survol a duré deux heures. C'est-à-dire au moment où les derniers bureaux de vote fermaient leurs portes et que commençait le décompte des voix. Le message est clair : il s'agit d'un avertissement aux Libanais qui font face à une autre occupation qui a échappé au regard de ceux qui se prennent pour la conscience du monde, mais pas à la résistance libanaise qui assoit sa représentation et sa légitimité dans le nouveau Parlement. L'on dit d'ores et déjà qu'un paysage politique nouveau est attendu après l'élection en quatre étapes du Parlement, dont la particularité est d'avoir autant de députés chrétiens que musulmans. 64 pour chacune des deux grandes confessions. Voilà déjà les limites imposées par le système politique libanais, et les plus avisés des observateurs excluent tout changement, rappelant au passage que « le Liban est un pays de libertés, mais pas de démocratie ». Mais d'une manière générale, assure-t-on, pour la première fois depuis près de 30 ans, l'opposition antisyrienne était assurée hier de détenir la majorité absolue dans le nouveau Parlement libanais, après avoir gagné la rude bataille du Liban-Nord. Encore faut-il savoir qui est antisyrien, qui l'était et qui ne l'est plus. En tout état de cause, celle-ci devra composer avec la coalition chiite Hezbollah-Amal, et l'atypique général Aoun. Les chiffres disponibles accordent la victoire aux 28 candidats soutenus au Liban-Nord par le leader sunnite Saâd Hariri, fils de Rafic Hariri, assassiné en février. Cet attentat a conduit au départ des troupes syriennes fin avril, sous la pression des Etats-Unis et de la France, et ensuite de la rue. Saâd Hariri, élu député avec ses 18 colistiers le 12 juin à Beyrouth, a proclamé dès dimanche soir le succès de la coalition regroupant ses partisans, des opposants chrétiens et des opposants de gauche dans le scrutin législatif au Liban-Nord. « Les résultats quasi définitifs montrent que le peuple a dit son mot. Il a dit qu'il veut le changement et c'est ce que nous demandons », a déclaré Saâd Hariri. « Un changement au Parlement était inéluctable », a-t-il dit, en faisant référence à l'assassinat de son père et à la manifestation du 14 mars qui avait rassemblé à Beyrouth plus d'un million de Libanais, chrétiens et musulmans. Plusieurs personnalités font leur entrée pour la première fois au Parlement, parmi lesquelles Saâd Hariri (35 ans), le général Michel Aoun (70 ans), de retour d'un exil de 15 ans en France, Pierre Gemayel (34 ans), le fils du fondateur du parti chrétien Kataeb et Elias Atallah, chef du mouvement de la Gauche démocratique. Le général Aoun et son allié chrétien prosyrien du Nord, l'ancien ministre de l'Intérieur Soleimane Frangié, ont reconnu la défaite de leur coalition. Le succès de l'opposition antisyrienne, regroupant Saâd Hariri, le chef druze et député Walid Joumblatt, les opposants chrétiens proches du chef de l'Eglise maronite Nasrallah Sfeir, le parti chrétien des Forces Libanaises (FL), et la Gauche démocratique, lui assure 72 des 128 sièges au futur Parlement. L'opposition antisyrienne a commencé par prendre forme en septembre 2004, lors de la bataille contre la prorogation de trois ans du mandat du chef de l'Etat, Emile Lahoud, imposée par la Syrie, alors au faîte de son hégémonie au Liban, en dépit de mises en garde internationales. Les législatives, commencées le 29 mai, sont les premières qui se déroulent à l'abri de toute ingérence de Damas, qui avait eu toujours le dernier mot dans le choix des députés lors des trois élections qui s'étaient tenues depuis la fin de la guerre du Liban (1975-1990). La fin de la tutelle syrienne a permis ainsi à une coalition formée essentiellement de sunnites, de druzes et de chrétiens d'émerger pour prendre en main les affaires du pays. Amal et Hezbollah, qui n'ont cessé de clamer leur amitié pour la Syrie, qui ont gardé intacte leur représentation au Parlement. La coalition Amal-Hezbollah a remporté 35 sièges au nouveau Parlement, dont 22 au Liban-Sud, 10 à Baâlbek-Hermel (est) et 3 à Beyrouth, au Mont-Liban et dans la Békaâ-Ouest. Les 21 sièges restants reviennent au général Aoun, élu député le 12 juin au Mont-Liban et à ses alliés. Le chiite Nabih Berri, président sortant, devrait être réélu à la tête du nouveau Parlement, a prédit dimanche soir Walid Joumblatt. Cette fonction revient selon l'usage à un chiite. Mais il faut attendre la première réunion du Parlement d'ici 15 jours, pour savoir si les alliances nouées pendant les élections se maintiendront. Les futurs blocs parlementaires ne devraient pas ressembler aux alliances électorales constituées sans aucune logique politique, prédisent déjà les analystes.Ces derniers se montraient dubitatifs, voire foncièrement sceptiques quant à l'avenir politique et institutionnel tant que demeurera valide le Pacte national de 1943.