Envoûtant, l'appel de l'Afrique n'a jamais été aussi preste et puissant qu'avec le «vieux» et ces autres monstres de musiciens. Et l'événement musical tant attendu de la rentrée a finalement eu lieu. Le célèbre claviériste viennois Josef Zawinul et sa formation mixte the Zawinul syndicate est enfin arrivé en Algérie dans le cadre de sa tournée mondiale 2003. Une première africaine organisée par Colombine films: c'est un concert exceptionnel qu'il donna dimanche soir à la salle Ibn Zeydoun de Riad El-Feth dans une salle archicomble, devant un public comblé, c'est le moins qu'on puisse dire. Soucieux de la qualité du son et de la lumière, Colombine films a mis le paquet pour rehausser l'aura de Zawinul syndicate. Et pour ce faire, elle a fait appel à des amis et à des collaborateurs, notamment Gilles Domenget et Bernard Crozas qui sont venus aider et surtout former des jeunes, qui seraient potentiellement amoureux du métier: l'éclairage de scène. Pour le son, c'est Ivan Zawinul, le frère de Joe, qui a fait le déplacement et qui s'en est chargé, sans oublier Mamoun Senouci, afin de mettre tout en place et de veiller à ce que tout soit parfait. Et vint le jour J. Trois jours de montage et de galère. Le son a été renforcé pour répondre aux normes exigées par Zawinul syndicate. Ce dernier a ramené avec lui 63 kilos de matériel. Du matériel lourd. Cent mille watts pour l'éclairage. Une douzaine de projecteurs motorisés. Une belle mise en scène pour refléter toute la prestance et la magie musicale de Zawinul. The Zawinul syndicate, ce sont six musiciens, six grosses pointures: Manolo Badrena, un percussionniste enjôleur et éclatant, Linley Marthe, un bassiste martiniquais, Sabine Kabongo, une Française d'origine zairoise au chant, Stephane Galland le fou batteur (d'Aka moon), Amitt Chaterjeer, l'Indien aux longs cheveux couleur de jais à la guitare et au chant et bien évidemment Joe Zawinul, au clavier et au vocodeur, le leader du groupe surnommé familièrement le vieux à cause de son âge (71 ans). Même si le public a dû attendre 21h20 pour que débute le concert, cela valait tout de même la chandelle. Une ambiance fusion jazz-rock, orientalo-africano maghrébine et indienne. Un menu très consistant. C'est ce qu'on appelle de la musique tribale, expérimentale. L'appel de l'Afrique sonne continuellement et coule dans les veines de Zawinul. C'est le retour des jazzmen internationaux aux musiques de l'Afrique originelle. Cela se sent. Cela se ressent et donne des frissons. C'est le «world-jazz qui éclot et fait des émules. Une musique qui paraît d'abord extraterrestre mais qui à l'entendre, de près ou même de loin, paraît très accessible et touche l'âme de tous. Car elle est universelle. Authentiquement émouvante. «Véritable dompteur de son» Zawinul a su intégrer dans son jazz des éléments extérieurs qui ont fait la richesse et la particularité de sa musique. Sa distinction en fait. On ne se démarque pas facilement. Lui, l'a fait. Outre Karim Ziad, notre batteur international chez qui il est allé à la quête du pouls maghrébin, Zawinul s'est également associé il y a quelque temps à cet autre Africain Cheikh-Tidiane Seck. Que l'on ne s'étonne pas de ce choc des cultures qui fait monter l'adrénaline. Une bonne drogue celle-là... La musique de Zawinul syndicate suit le mouvement de ses humeurs. Elle est une suite progressive d'une cavalcade de rythmes et d'enchaînements de sons. Très extatique tout ça. «Un flux continu» qui monte, monte et quand on croit que c'est fini ça repart encore de plus belle avec autant d'énergie que de frénésie. C'est une caresse sensorielle avant d'être épidermique puis physique. Embarquement vers l'infini. Montez dans le train en marche de Zawinul et laissez-vous emporter par ses belles mélodies parfois entraînantes, fiévreuses, carrément animales ou parfois lentes et aguichantes. Suave mais jamais terne, peut-on rester insensible à la voix grandement puissante et chaleureuse de Sabine Kabongo? Que non! Déchaînée, endiablée survoltée est la musique de Zawinul syndicate, superbement vivante. On ne peut que succomber à la danse mystique. «Et de la danse naît la transe». Amitt laisse voler les ailes de sa guitare et nous fait voyager dans son monde débordant de générosité. Sa voix, qu'il module comme on accorde un instrument fait rêver, vous laisse pantois, ivre de bonheur. Fermons les yeux et écoutons la voix céleste de «l'Indien». Carrément envoûtante. Que dire également du firmament solaire et vocal de Sabine qui nous met du baume au coeur avec cette complainte qui est autant une méditation qu'une exhortation à la paix entre les peuples et dans les âmes. Dieu et l'Afrique ont toujours été deux thèmes très souvent loués et invoqués. A y voir plus clair. Le mois de ramadan a conféré à ce concert toute sa force et sa portée symbolique. Terrible est également le percussionniste qui invoque les dieux de Portorico provoquant de fortes envolées de tam-tam ou cette avalanche de sons graves drainés par ce fou de bassiste. Que du bon son : on souhaite en écouter plus souvent.