Le compétent devient incompétent et l'incompétent devient compétent par ses manigances Le Président Bouteflika a, et ce à maintes reprises, insisté sur le rôle fondamental des institutions de l'enseignement supérieur pour le développement de l'Algérie. Les établissements du secteur éducatif ont pour mission de transmettre le savoir et la culture et de poursuivre leur quête de la connaissance sans entraves. Et ainsi que le souligne l'Unesco, «l'exploration et l'application des nouvelles connaissances se situent au coeur du mandat des établissements d'enseignement supérieur». Et la liberté universitaire a prouvé au fil des temps être une condition essentielle pour les fonctions primaires des universités et des institutions éducatives en général, comme la recherche et l'enseignement. Cette liberté rend possible l'esprit critique propre aux institutions universitaires et aux libertés civiles des sociétés démocratiques. Mais l'enjeu le plus important est peut-être celui de la création de valeurs et la formation d'une éthique professionnelle chez les étudiants, essentielle, non seulement pour le développement de l'individu, mais aussi pour la formation de citoyens libres pouvant participer activement à une société démocratique. La lutte pour la liberté académique est donc une partie intégrante de la lutte pour les droits humains et les libertés civiques. Le Président Bouteflika a, et ce à maintes reprises, insisté sur le rôle fondamental des institutions de l'enseignement supérieur pour le développement de l'Algérie et pour la démocratie. Malheureusement, les efforts de l'Etat sont restés vains, car certains de ces établissements, souvent ne servent pas l'intérêt public, mais des intérêts privés. L'enseignement supérieur, comme son nom l'indique bien, requiert un corps enseignant compétent et hautement qualifié. Et le rôle de l'enseignant de ce secteur, comme celui de tous les autres citoyens, est de promouvoir au sein de sa société le respect des droits civils et politiques et de servir la communauté en tant que citoyen responsable, mais la réalisation de ces objectifs est subordonnée à l'existence du respect des libertés académiques, de l'autonomie de l'enseignant et de la libre communication. L'élite algérienne se retrouve assujettie Les professeurs sont censés exprimer leurs pensées librement, et avoir le droit de parler avec leurs étudiants car la connaissance ne peut s'acquérir sans une relation humaine avec les étudiants. Un étudiant est un être humain à part entière et a aussi des droits. Les professeurs ont le droit de remettre en question les idées reçues et/ou de rejeter les connaissances tenues pour acquises. Malheureusement, nombreux sont les professeurs, chercheurs et étudiants de l'enseignement supérieur en Algérie qui sont confrontés à des violations de leur liberté d'expression, liberté de pensée et ont même perdu le droit d'exister. De nombreuses réformes ont été entreprises dans notre pays pour l'amélioration de la qualité des services publics, néanmoins, la gestion de nos établissements d'enseignement supérieur végète toujours dans la médiocrité. Atteinte à la dignité et à l'intégrité des enseignants, perte de leurs droits fondamentaux, humiliation, violation de leur vie privée, perte de leur salaire et de leurs primes sans fondement aucun, telles sont les caractéristiques de nos institutions de l'enseignement supérieur dans une ère qui se veut démocratique. Rappelons que la démocratie ne se résume pas seulement au droit de vote, mais elle implique une certaine autonomie des citoyens. Les piliers de la démocratie sont la justice, la liberté et le respect pour l'autonomie de l'individu. La démocratie vise donc à améliorer l'efficacité du mode de gouvernance d'une société. Au-delà de l'enseignement et de la recherche, les établissements de l'enseignement supérieur doivent, à travers l'éthique et les pratiques, servir de modèles pour le respect, la défense et la promotion des droits de l'homme et de la démocratie. L'enseignement est une profession noble, dit-on, mais qu'en reste-t-il de cette noblesse? L'Algérie a combattu pendant de longues années pour se libérer du joug de la domination française et voilà que cinquante ans après, l'élite algérienne se retrouve assujettie. Elle se voit confrontée à une nouvelle forme de colonisation, l'abus de pouvoir des responsables de l'enseignement supérieur. Ce qui a un impact néfaste sur les libertés académiques. En effet, en Algérie, la liberté académique est compromise et une menace sérieuse plane sur l'intégrité académique aujourd'hui. Si les libertés ont été limitées auparavant au nom des intérêts politiques, et d'une morale conservatrice, elles subissent de nos jours de nouvelles contraintes. Certains directeurs d'établissement supérieur et leurs adjoints instaurent un climat que je qualifierai d'anti-intellectualisme et d'intolérance qui limite, à la fois l'autonomie des étudiants, et celle des enseignants. Et les stratégies déployées sont devenues très sophistiquées. Un phénomène qui entache la réputation de nos établissements de l'enseignement supérieur est la pratique de l'espionnage. Certaines institutions sont devenues de vraies annexes de la CIA où se pourvoient différents types de James Bond: étudiants, agents, administratifs et même des enseignants! Ces derniers lorsqu'ils excellent dans le domaine de l'espionnage sont promus à des postes de responsabilité. Alors, ils consacrent tout leur temps et énergie à détruire les soi-disant ennemis du haut responsable. Ils ne s'intéressent pas à l'amélioration de la pédagogie, mais plutôt à la façon dont ils pourraient «honorer» leur nouvelle fonction et là, tous les moyens sont bons. Certains d'entre eux, les plus virulents, vont même jusqu' à s'immiscer dans la vie privée des enseignants, pire encore, à imprimer leur courrier électronique personnel et à le remettre à la hiérarchie, qui alors jubilante, assigne ledit enseignant à comparaître devant le conseil de discipline, mais l'aberration la plus totale est qu'on lui demande de faire des excuses écrites. Pour survivre dans ce monde d'intrigues, il faut, ou se plier aux exigences de la direction et perdre sa dignité, ou se retrouver marginalisé, humilié et déchu de tous ses droits humains et constitutionnels. En effet, le harcèlement moral dans ces établissements prend des proportions dangereuses. Quelles sont les sanctions encourues par les enseignants? Elles sont multiples, par exemple: Illico presto 1. La victime du harcèlement moral se voit espionnée non seulement par ses étudiants en classe. Ses cours sont enregistrés sans autorisation préalable. Elle est suivie partout où elle va et ses conversations sont écoutées. La hiérarchie peut choisir certains étudiants, les cancres, et les inciter à faire une pétition contre leur enseignant, à la suite de quoi, on assigne ledit enseignant à comparaître devant le conseil de discipline. Et là encore lorsque la commission paritaire a jugé les faits évoqués par les étudiants irrecevables, illico presto, il faut trouver un autre grief. L'enseignant alors écope d'un avertissement écrit pour un fait qui a eu lieu une année auparavant. Que lui reproche-t-on à cet enseignant? Eh bien, tenez-vous bien! Simplement le fait d'avoir participé à une conférence à l'étranger, et de n'avoir pas assisté aux délibérations de fin d'année. A noter que la date de celle-ci a été reportée pour coïncider avec l'absence de l'enseignant. Bien sûr, ceci a été bien maquillé pour faire «légal.» A retenir que l'enseignant en question avait été autorisé, verbalement, car là encore, pour mieux piéger l'enseignant, on lui affirme qu'il n'est pas nécessaire de faire un écrit, il s'agit-là d'un motif valable: une intervention dans une conférence internationale! 2. On peut aussi lui interdire de parler avec ses étudiants et vice versa. Tout étudiant qui déroge à la règle est sévèrement pénalisé. 3. En début d'année scolaire, l'enseignant peut ne pas figurer sur les emplois du temps et doit de ce fait lutter pour recouvrer ses droits. On va même jusqu'à lui dire: pourquoi vous cassez-vous la tête? Restez chez vous et vous serez payé! 4. Les examens du module de l'enseignant ne sont pas programmés et dans le cas où ils le sont, c'est uniquement pour mieux l'humilier, car ses notes d'évaluation seront alors annulées. 5. Enfin, quand toutes ces stratégies n'ont pas donné l'effet escompté, alors on s'attaque à la note de prime de rendement de l'enseignant. Des enseignants et chercheurs, qui ont donné plus de la moitié de leur vie à l'enseignement, se sont vu attribuer des notes plus que médiocres. Arrêtons-nous un petit moment et essayons de voir quels sont les critères d'attribution d'une prime de rendement. Pour cela, référons-nous aux textes officiels. L'arrêté du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, fixant les critères de notation relatifs au service des primes de rendement, d'amélioration des performances de gestion et d'amélioration des performances pour les fonctionnaires appartenant aux corps spécifiques de l'enseignement supérieur, souligne les critères suivants: respect des règles de discipline générale; ponctualité et assiduité; soin apporté aux tâches accomplies; rapidité dans l'accomplissement des tâches; et sens de la communication et des relations humaines. Alors comment expliquer ce paradoxe? L'enseignant qui s'est souvent absenté, est souvent arrivé en retard et qui ne fait pas correctement son travail se voit attribué une note de 20 sur 20, alors que celui qui a toujours rempli les conditions ci-dessus et qui trime au travail se trouve noté très mal. Ce dernier voit même sa prime de septembre amputée alors que les établissements de l'enseignement étaient en vacances! Est-ce légal? Dans certains établissements d'enseignement supérieur, il faut aussi noter que les enseignants et chercheurs n'ont pas le droit de participer à l'élaboration des concours d'accès, aux activités scientifiques de leur établissement ou d'introduire des programmes de recherche dans leurs établissements. L'enveloppe financière consentie par l'Etat à l'enseignement supérieur et en particulier à la recherche scientifique est faramineuse, pourtant, souvent les enseignants chercheurs n'en bénéficient pas. Le personnel administratif, secrétaires et autres se voient attribués des stages de courte durée pour «formation». Certains enseignants et chercheurs, quant à eux, lorsqu'ils bénéficient d'un stage de courte durée, la hiérarchie peut le leur retirer sans aucune explication alors que le conseil scientifique a émis un avis favorable. Ces chercheurs se voient même refuser le droit de participer dans des projets de recherche à l'étranger, projets pour lesquels ils ont été sélectionnés, parmi des centaines de candidats à l'échelle internationale, par des universités étrangères prestigieuses. Pour ne pas rater des occasions aussi uniques de progresser, ces derniers en sont réduits à faire la navette toutes les semaines entre le pays d'accueil et l'Algérie pour assurer leur cours dans leur institution et ce, durant plusieurs mois et à leurs propres frais. Nombreux sont ceux aussi qui bénéficient rarement ou ne bénéficient jamais de congés scientifiques pour faire des communications dans des conférences à l'étranger. Là aussi, l'enseignant chercheur finance la totalité des frais de conférence. Où va donc le budget alloué par l'Etat à la recherche scientifique? Enfin pour expliquer cette notion de «compétence» irrationnelle, il nous faudra d'abord expliquer la notion de compétence. Rien qu'à le prononcer, le mot «compétence» de nos jours vous donne envie d'aller vous coucher. Une explication très séduisante de cette notion de compétence peut être donnée en exploitant le principe de Peter, un principe relatif à l'organisation hiérarchique, paru originalement sous le titre, The Peter Principle (1969). Ce principe souligne deux points essentiels: 1. Si les pays vont si mal, c'est parce que les responsables du bon fonctionnement des pays sont incompétents pour leur poste d'où le mauvais fonctionnement des pays. 2. La super-compétence est plus redoutable que l'incompétence, en cela qu'un super-compétent outrepasse ses fonctions et déroge à toutes les règles de bienséance. A ces deux constats, j'ajouterai un autre: si les choses vont aussi mal dans l'enseignement supérieur, c'est aussi parce que la médiocrité l'emporte sur la compétence. Les enseignants compétents gênent les responsables médio- cres. Ce qui explique souvent leur marginalisation. Les rôles sont alors inversés, le compétent devient incompétent et l'incompétent devient compétent par ses manigances et surtout parce qu'il occupe un poste de responsabilité. Analysons ceci à travers un exemple célèbre: Winston Churchill a connu un échec cinglant au ministère de la Marine pendant la Première Guerre mondiale. Ce qui l'a ensuite empêché, pendant plus de vingt ans, de devenir Premier ministre. Quand on analyse les causes de cet échec, elles viennent probablement du fait qu'il n'était QUE ministre de la Marine. Le gros problème, ce n'était pas l'incompétence de Churchill, mais le fait que sa compétence ne pouvait s'exercer qu'au sommet absolu de la hiérarchie. Conséquence, pour rendre Churchill «compétent», il fallait lui donner le poste de Premier ministre, non pas celui de ministre de la Guerre. Ceci s'applique parfaitement à la situation de certains enseignants du supérieur, particulièrement à ceux qui sont soumis à cette torture psychologique. Ils ne sont QU'enseignants, ils ne sont QUE chercheurs. L'Algérie appartient à tous les Algériens Comment faire face à cette situation intolérable? Se plaindre, mais à qui? Même le ministère concerné ne semble pas s'inquiéter de cette crise intellectuelle qui persiste dans notre pays et qui sape tous les efforts de développement. Certains universitaires ont préféré quitter l'établissement, d'autres ont fuit le pays, d'autres ont néanmoins su résister à ces violations au prix de leur santé morale et physique. A noter que dans des cas extrêmes d'injustice, certains enseignants sont arrivés à perdre leur foi en Dieu et ont failli commettre l'irréparable: le suicide. Voici donc le scénario des «garrison commanders», de ceux à qui l'Etat algérien a confié la gestion d'établissements supérieurs. Un amer constat! Nous sommes en face d'un drame national. Les enseignants du supérieur sont confrontés aujourd'hui aux héritiers intellectuels de Hitler et Staline, comme dirait David Horowitz. Ils sont confrontés à des responsables imbus de leur personne et assoiffés de pouvoir. Ce genre d'«élite» ne peut assurer la relève. Aujourd'hui, ainsi qu'il a été démontré ci-dessus, tous les droits cités dans les articles 1,2, 3, 5, 7, 8,12, 18, 19, 21,23, 26, 27,28, 29, et 30 de la Déclaration universelle des droits de l'homme sont bafoués dans certains de nos établissements d'enseignement supérieur. Une mobilisation des enseignants et chercheurs est nécessaire pour réaffirmer ces droits et les faire respecter par tous, y compris par les dirigeants de ces établissements. Rappelons que l'Algérie appartient à tous les Algériens et que les enseignants et chercheurs ne sont pas de simples agents d'exécution. En vertu de leur rôle dans la formation des générations futures et de leur contribution à la construction d'une société saine, et au développement du pays, ceux-ci mériteraient un peu plus de considération. Je souhaite sincèrement que cette contribution ouvre les yeux aux autorités compétentes qui, ainsi, établiront des lois pour protéger les enseignants contre le harcèlement moral et renforceront les lois qui régissent le recrutement des dirigeants de ces institutions et ce, afin de donner une puissante impulsion à la démocratie en Algérie.