Les tapissières d'Ath Hicham, un village de la commune d'Aït Yahia, situé à plus d'une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Tizi Ouzou, tentent tant bien que mal de perpétuer le procédé traditionnel de tissage pour préserver l'identité du tapis local, tel qu'elles l'ont appris de leurs mères et grands-mères. Rencontrées lors du festival local du tapis d'Ath Hicham, qui a été clôturé avant-hier, les tapissières de ce village perché à 1153 mètres d'altitude, ne cachent pas leur inquiétude quant à l'avenir de ce métier. Le tapis local a subi au fil des temps des modifications, il s'agit essentiellement du remplacement de la matière première, à savoir la laine, par le fil synthétique, déplorent les anciennes tapissières. «Nous nous approvisionnons en laine à partir des wilayas de Bordj Bou Arréridj et de Sétif et son prix est excessivement élevé», affirme Tassaâdit, une tapissière septuagénaire, veuve de chahid. Jadis, le fil à tisser était patiemment produit par les femmes. Celles-ci récupèrent la laine, la nettoient, la lavent, la brossent avec «Aqardach», une paire de brosses à longues dents en métal, pour la rendre (laine) plus malléable et pouvoir ensuite la transformer en fil, explique cette tapissière. Le fil de laine est ensuite teint avec les produits que fournit la nature. Il s'agit de teintures végétales. «Aujourd'hui, cette première étape dans le processus de fabrication d'un tapis est presque perdue», déplore Tassadit. Après avoir remplacé les colorants végétaux par des teintures chimiques, qui, de l'avis des tapissières d'Ath Hicham, «ne valent pas en qualité les produits naturels», c'est au tour de la laine de céder sa place à la fibre synthétique prête à l'emploi. Aujourd'hui, beaucoup de tapissières préfèrent acheter du fil synthétique qui coûte 500 DA le kilogramme et qui est disponible dans toutes les couleurs qu'elles désirent. «Cela nous épargne le travail de préparation de la laine qui est épuisant mais rien ne vaut la véritable laine qui est plus douce que la fibre synthétique», indique Ghenima une autre tapissière. Le tapis pure laine est toutefois produit à Ath Hicham mais uniquement à la demande du client qui est prêt à en payer le prix. Un prix qui peut aller de 20.000 jusqu'à 30.000 DA le tapis de quatre mètres. Selon les tapissières, le tapis de quatre mètres, est d'ailleurs rarement produit de nos jours, sauf pour les mariées qui continuent à en faire une pièce maîtresse de leurs trousseaux. Ce tapis est alors réalisé dans le strict respect des motifs et des couleurs du tapis ancien. Il coûte entre 20.000 et 25.000 DA. Quand celui ci est accompagné de deux oreillers et deux descentes de lits, son prix peut grimper jusqu'à 30.000 DA. D'autres tapis à rayures sont également disponibles et coûtent 10.000DA. Ils sont réalisés avec des fibres synthétiques ou d'un mélange de laine et de fibres, apprend-on auprès des exposantes. L'autre changement intervenu sur le tapis d'Ath Hicham, il y a déjà plusieurs années, est l'introduction de couleurs qui n'étaient pas utilisées par les artisans de la région, telle que le bleu et le vert, indique-t-on. Selon un habitant d'Ath Hicham, ce sont les étrangers qui sont à l'origine de l'introduction des ces nouvelles couleurs. «Ils passaient commandes en suggérant aux femmes l'utilisation de nouvelles couleurs.» Ces modifications ne sont pas appréciées par les vieilles tapissières. Selon Tassaâdit «le tapis synthétique est de mauvaise qualité». Et de poursuivre: «Mais que voulez-vous, la laine coûte très cher et nous avons du mal à trouver des acheteurs, alors que par le passé les étrangers s'arrachaient nos produits». Aujourd'hui, ajoute-t-elle, «il n' y a que les mariées qui achètent nos tapis. Et dire que lorsque mon mari est tombé au champ d'honneur durant la guerre de Libération nationale, j'ai pu nourrir mes deux enfants grâce au tissage». Loin de perdre espoir de voir un jour le tapis d'Ath Hicham retrouver ses lettres de noblesse, Tassaâdit se dit prête, avec les autres tapissières, à produire l'authentique tapis traditionnel pour peu que l'achat de la laine soit subventionné.