La sensibilité à fleur de peau, il reproduit les tares de son temps sous le prisme de son coeur. oe Parlant de la nécessité d'ouverture de la chanson kabyle vers d'autres styles musicaux, Tayeb Brahim a fait sienne cette citation de feu Mouloud Mammeri «les ghettos sécurisent peut-être mais ils stérilisent c'est sûr» Pour le compositeur de Ussan-ennii ( ces jours-là) cette ghettoïsation s'est manifestée dès lors qu'il y a eu une approche politique de la culture. «Le problème ne s'est jamais posé par le passé» explique le chanteur, voulant pour preuve que ses aînés tels «Zerrouk Allaoua, Akli Yahiathene, Boudjemaa El Ankis, El Anka, Farid Ali... ont tous chanté en arabe, de même que des chanteurs arabophones avaient chanté en Kabyle». «Il est regrettable, dit-il, que cette faculté que nous avons de percevoir les langues soit utilisée par certains comme outils de division au sein de la société algérienne» Né à Ath Frah, un village perché en haute Kabylie à Larbaa Nath-Irathène ( ex-Fort National ), Tayeb Brahim y a marché pieds nus comme tous les villageois, dialogué avec les sources, même celles qui tarissent l'été, cueilli des cerises et monté des arbres en dépit de son infirmité. Extrait trop jeune de son village natal, il regagne l'école des aveugles d'El Achour, la seule qui existait alors sur le territoire national. «C'est dans cet établissement que j'ai eu la chance de côtoyer toutes les cultures de notre pays. A chaque occasion les parents d'élèves nous invitaient chez eux» rappelle-t-il non sans nostalgie les moments de joie qu'il éprouvait durant les cours de musique «j'étais un élève trop turbulent mais au cours des séances de musique je me métamorphosais d'une façon incroyable en un élève sage». Ainsi fut tracée la destinée de cet enfant turbulent que calmait la musique. Une sensibilité à fleur de peau, la thématique du chanteur semble mise sur une escarpolette évoluant entre un passé perdu (on ne possède éternellement que ce qu'on a perdu) et une quête d'un idéal inaccessible. Dans ce mouvement pendulaire, Tayeb Brahim reproduit des mélodies où sont concentrées toutes les tares de son temps. Il reproduit l'écho des imperfections de la vie qui lui parviennent. Il chante l'amour «qui fait terriblement défaut dans notre société, un amour qui baigne dans un environnement de violence et de terreur» le mal de vivre d'une jeunesse sevrée, la quête de l'autre et les retrouvailles. Il dresse un constat lucide en dépit de son infirmité. «En tant que créateurs, nous sommes en mesure de donner quelque chose en ces moments de crise que vit notre pays» La façon dont est prise en charge la culture et l'artiste d'une façon particulière, ne présagent pas de lendemains meilleurs pour l'art en Algérie «il n'y a pas une volonté d'aller vers une meilleure organisation vu l'absence presque totale de textes de loi qui protègent l'art et l'artiste». Aveugle, il chante du fond des tripes.