L'Algérie a un cadre macroéconomique stabilisé artificiellement par la rente des hydrocarbures L'objet de cette contribution est donc de se demander pourquoi la léthargie de la Bourse d'Alger qui n'arrive toujours pas à fonctionner normalement, et ce malgré ses 15 ans d'existence? Selon des informations diffusées par l'agence de presse officielle APS en date du 15 juillet 2012, les ordres traités par le système de négociation de la Bourse d'Alger ont été étendus à une nouvelle gamme, conformément aux recommandations émises par le comité chargé de la réforme des marchés de capitaux, a-t-on appris samedi auprès de la Société de gestion de la Bourse des valeurs (Sgbv). Il a également été décidé de diffuser sur le site web de la Bourse d'Alger un état récapitulatif renseignant sur les conditions (cours, volumes) des ordres boursiers non satisfaits afin de permettre aux investisseurs de mieux apprécier les tendances du marché. Parallèlement à ces mesures techniques, des amendements ont été introduits sur le règlement général de la Bourse d'Alger dans le but de réorganiser le marché boursier national par la création de trois compartiments dont un marché principal réservé aux grandes entreprises, un marché dédié aux PME et un troisième marché destiné à la négociation des obligations assimilables du Trésor (OAT). Pourtant, ces mesures superficielles ne s'attaquent pas à l'essentiel: pour preuve le marché des obligations de la Bourse d'Alger a poursuivi son repli en 2011 atteignant un encours global de 78,3 milliards de DA contre 151,89 milliards de dollars, soit l'équivalent au cours de 2011 à peine un (1) milliard de dollars et il n'y pas d'amélioration pour 2012. Les changements de responsables ne changent rien s'il n'y a pas une réelle volonté politique d'une libéralisation maîtrisée, d'aller vers une économie de marché concurrentielle à finalité sociale qui ne saurait signifier anarchie, le rôle de l'Etat régulateur étant stratégique pour lever les contraintes d'environnement à l'initiative des véritables entrepreneurs créateurs de richesses, qu'ils soient publics ou privés. Ce sont les conditions sine qua non de la dynamisation de la Bourse d'Alger. Se contenter de contempler le niveau des réserves de change de 190 milliards de dollars au 01er août 2012, est un leurre. Elles ne sont qu'une richesse virtuelle grâce à la rente des hydrocarbures, qu'il s'agit de transformer en richesse réelle. Un environnement des affaires contraignant La léthargie de la Bourse d'Alger renvoie à la politique socio-économique dans sa dynamique historique, elle-même liée au mode de gouvernance, en fait, à la panne de la réforme globale. L'Algérie est dans cette interminable transition depuis 1986, ni économie administrée, ni économie de marché, ce qui ne saurait signifier économie spéculative marchande mais économie fondée sur la production, y compris les services qui ont un caractère de plus en plus marchand. Nous rappelons que l'Algérie est observatrice au niveau de l'Organisation mondiale du commerce depuis juin 1987, et la majorité des pays fondateurs du communisme sont membres de l'OMC dont le dernier en date est l'adhésion de la Russie et également la majorité des pays de l'Opep. L'économie algérienne est une économie rentière exportant 98% d'hydrocarbures à l'état brut ou semi-brut et important 70/75% des besoins des entreprises (dont le taux d'intégration, privé et public, ne dépasse pas 15%) et des ménages. Cela s'appelle le syndrome hollandais. L'obstacle principal est un environnement des affaires bureaucratisé expliquant le peu d'entreprises productives et donc cette léthargie. Que l'on se réfère à tous les rapports internationaux, donnant des résultats mitigés, entre 2007/2012 sur le climat des affaires en Algérie où le pouvoir bureaucratique décourage les véritables investisseurs. Ces rapports montrent clairement un déphasage entre le discours officiel algérien et la réalité. L'Algérie a un cadre macroéconomique stabilisé artificiellement par la rente des hydrocarbures. Elle n'arrive pas à dynamiser la sphère réelle et risque à terme de se vider de ses cerveaux, la substance essentielle du développement du XXIe siècle. De surcroit comme l'a montré l'enquête de juillet 2012 de l'ONS, elle n'a pas d'économie après 50 ans d'indépendance politique, 83% du tissu économique étant représenté par le commerce et les services de très faibles dimensions, le taux de croissance officiel hors hydrocarbures étant artificiel, 80% du PIB via la dépense publique l'étant grâce aux hydrocarbures. Force est de constater que selon les données officielles, en moyenne entre 2010/2011, 90% des entreprises privées algériennes sont de types familiaux sans aucun management stratégique, et que 85% d'entreprises publiques et privées ne maîtrisent pas les nouvelles technologies d'information. La majorité des segments privés et publics vivent grâce aux marchés publics octroyés par l'Etat. Par ailleurs, l'économie est dominée par la sphère informelle, notamment marchande elle-même liée à la logique rentière qui emploie plus de 50% de la population active, selon l'ONS, et contrôle 40% de la masse monétaire en circulation, soit plus de 13 milliards de dollars en référence à l'année 2010, avec une intermédiation financière informelle mais à des taux de prêts d'usure. Cela limite forcément le marché financier algérien qui existe techniquement et a les moyens de fonctionner pour peu que l'on mette en place des mécanismes de régulation transparents limitant ce dualisme de l'économie. Sachant que la Bourse d'Alger ne compte que 3 entreprises cotées sous titre capital (action) et 2 seulement sous titre créancier (obligation), la société privée Alliance Assurances a certes apporté un supplément de capitalisation boursière de plus de 2 MDS de DZ. Mais il faudrait des milliers d'Alliance Assurances pour avoir une cotation significative, car l'ensemble des titres de capital de la Bourse d'Alger n'est que de 50 millions d'euros alors que celle de Casablanca dépasse les 50 milliards d'euros. Les raisons techniques Les raison techniques, secondaires, liées aux analyses précédentes sont la difficulté de trouver au sein du portefeuille des entreprises privées et publiques en opération à ce jour présentant la garantie en réalité et non en apparence d'une qualité de l'information financière fiable et solide. En l'état actuel de leurs comptes, très peu d'entreprises seraient selon les standards internationaux éligibles à une introduction en Bourse ne sachant pas exactement l'évaluation de leurs actifs selon les normes du marché. Pour preuve, deux grandes entreprises publiques, Sonatrach et Sonelgaz, et des grandes entreprises privées qui ont des capacités managériales indéniables, ne sont pas cotées en Bourse. L'opacité et la faiblesse des managements stratégiques liés à la faiblesse de la gouvernance globale ne militent donc pas pour l'instant pour une dynamisation de la Bourse d'Alger. Aussi, il ne faut pas chercher cette défaillance dans l'appareil technique et réglementaire (Cosob Sgvb Algérie Clearing) qui pour son efficacité, doit s'inscrire au sein d'une vision stratégique claire du développement indissociable des nouvelles mutations mondiales. Certes, la Bourse d'Alger doit renouveler son système d'information qui est toujours lent, notamment si elle prévoit l'investissement de plus d'entreprises cotées. Mais ce n'est pas aujourd'hui, ces questions d'ordre technique qui freinent le développement du marché. Se pose également la question: pourquoi l'Algérie n'ouvre pas le capital des entreprises publiques? Est-ce par peur de la transparence des comptes? Sachant que l'introduction de Sonatrach à la Bourse était une obligation et non un titre du capital? Il se trouve que les comptes des entreprises publiques algériennes de la plus importante à la plus simple sont dans un état qui ne passerait pas la diligence des audits les plus élémentaires. Sonatrach a besoin d'un nouveau management stratégique à l'instar de la majorité des entreprises algériennes, avec des comptes clairs afin de déterminer les coûts par sections. Comment dynamiser la Bourse d'Alger? L'opacité de la gestion de Sonatrach, qui se limite à livrer des comptes globaux consolidés voile l'essentiel. Car, il s'agit de distinguer si le surplus engrangé par Sonatrach est dû essentiellement à des facteurs exogènes, donc à l'évolution du prix au niveau international ou à une bonne gestion interne. En 2012, même les cadres de Sonatrach ne peuvent pas vous répondre. Du fait que cette entreprise fait vivre l'ensemble de la population algérienne, est à l'origine des différents plans de développement et notamment de l'importante dépense publique (486 milliards de dollars entre 2004/2013), un large débat national sans exclusive est urgent. Premièrement, la levée des contraintes d'environnement dont les entraves bureaucratiques impliquant la refonte de l'Etat dans de nouvelles missions devient urgent. Deuxièmement, une Bourse doit se fonder sur un système bancaire rénové et j'insisterai sur ce facteur fondamental car le système financier algérien depuis des décennies est le lieu par excellence de la distribution de la rente des hydrocarbures et donc un enjeu énorme du pouvoir. La dynamisation de la Bourse passe forcément par la refonte du système financier algérien qui porte en lui la substance de l'enjeu du fait qu'il cadre parfaitement la politique économique développée jusqu'à présent et son corollaire, les sources et les modalités de son financement. En effet, malgré le nombre d'opérateurs privés, nous avons une économie de nature publique avec une gestion administrée. La totalité des activités, quelle que soit leur nature, se nourrissent de flux budgétaires, c'est-à-dire que l'essence même du financement lié à la capacité réelle ou supposée du Trésor. L'analyse des lois de finances de l'année et des lois de finances complémentaires et les modalités de répartition du budget de l'Etat sur la période 2000-2011 avec un colossal déficit budgétaire pour 2011/2012 (33%du PIB environ en 2011 et 25% pour 2012 mais avec un ralentissement des crédits d'équipement), avec les risques de l'épuisement du Fonds de régulation en cas d'un cours inférieur à 80 dollars 70/75 et des tensions inflationnistes plus fortes qui se font déjà sentir, à l'avenir que l'on comprime artificiellement par des subventions transitoires, le prouvent si besoin est. On peut considérer que les conduits d'irrigation, les banques commerciales et d'investissement en Algérie opèrent non plus à partir d'une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail mais par les avances récurrentes (tirage: réescompte) auprès de la Banque d'Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public sous la forme d'assainissement: rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d'Algérie: plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2011 sans compter les coûts de la restructuration entre 1980/1990 alors que plus de 70% de ces entreprises sont revenues à la case départ montrant que ce n'est pas une question de capital argent. La richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Puisque cette transformation n'est plus dans le champ de l'entreprise mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures), dans cette relation, le système financier algérien est passif. Les surliquidités bancaires montrent la difficulté de transformer le capital argent en capital productif, montrant que le blocage est d'ordre systémique à l'urgence d'une nouvelle gouvernance tant centrale que locale qui permettrait un meilleur management stratégique des entreprises qui se porteraient alors en Bourse. Troisièmement, il ne peut y avoir de Bourse sans la résolution de titres de propriété qui doivent circuler librement segmentés en actions ou renvoyant dailleurs à l'urgence de l'intégration de la sphère informelle par la délivrance de titres de propriété. Quatrièmement, il ne peut y avoir de Bourse sans des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales par la généralisation des audits et de la comptabilité analytique afin de déterminer clairement les centres de coûts pour les actionnaires. Cela pose la problématique de l'adaptation du système socio-éducatif, n'existant pas d'engeerening financier. Or, l'exode des compétences devient inquiétant sachant que le poste services au niveau de la balance des paiements ayant dépassé 11milliards de dollars et risque de dépasser 12 en 2012 contre 4 milliards de dollars en 2004/2005 qui s'ajoutent aux 44 milliards d'importations de biens. L'on pourrait faire appel aux compétences algériennes à l'étranger et elles sont nombreuses. Sixièmement, transitoirement la proposition de mon ami le docteur Omar Berkouk, d'une privatisation partielle de quelques champions nationaux pour amorcer le mouvement et la création de fonds de private P/P me paraît intéressante. On pourrait mettre en Bourse: 10% de Sonatrach; 10 à 15% de BEA; 10% de Sonelgaz;15% de Cosider et 15% de CPA. Cela permettrait de constituer un indice boursier consistant en volume et en qualité amorçant le cercle vertueux et attirer des opérateurs privés. Ces fonds agiraient comme incubateurs de sociétés éligibles à la Bourse. Dans ce cadre, une aide au développement des acteurs privés du secteur de l'investissement (Conseillers IOB, gestionnaires d'actifs) est nécessaire. Mais là n'est pas l'essentiel. En conclusion, l'important pour une Bourse fiable est le nombre d'acteurs fiables au niveau de ce marché pour l'instant limité. Imaginez-vous un très beau stade de football pouvant accueillir plus de 200.000 spectateurs sans équipe pour disputer la partie. Les autorités algériennes se sont donc contentées de construire le stade mais sans joueurs. Cela est la résultante de la panne de la réforme globale.