«Elever très haut le débat est une façon élégante de le perdre de vue.» Grégoire Lacroix Quand les urnes sont loin d'exprimer la volonté du peuple, ou plutôt de la majorité, beaucoup de ceux qui pensent qu'ils ne sont pas représentés au sein des différentes assemblées, comités ou commission, espèrent faire entendre leur opinion, ou du moins des opinions qui ne diffèrent pas beaucoup de la leur, dans des débats télévisés contradictoires comme seuls savent le faire les plateaux des pays démocratiques, non seulement à l'occasion d'élections non truquées, mais aussi à la veille de chaque vote d'une loi importante au Parlement. C'est ce qu'on attendait des chaînes qui se disent indépendantes (il n'y a qu'à regarder leur publicité). Mais hélas, on n'y entend parler que des questions périphériques ou alors des avis de gens qui avaient jusqu'ici usé de porte-parole pour exprimer leur avis. Pourtant, la célébration, même timide du 50e anniversaire et des différentes commémorations qui sont attachées à la guerre de Libération doivent donner à ces chaînes libres de toute tutelle (sauf celle de l'argent, bien entendu), l'occasion d'organiser des rencontres musclées qui redonneraient du souffle à un peuple qui a perdu tout espoir. Depuis l'ouverture de l'espace de la libre expression aux différentes sensibilités qui composent le paysage politique, chaque date commémorative est l'occasion pour les acteurs de la scène politicienne de s'opposer et d'échanger, à fleurets mouchetés bien sûr, des amabilités qui cachent de profonds clivages entre les uns et les autres. Si le 1er Novembre est sans conteste la date phare de tous les patriotes algériens, de Dunkerque à Tamanrasset et d'Oujda à Ghardimaou, c'est à partir de là que tout a été possible et qu'il n'y a aucune contestation sur les acteurs qui ont allumé la mèche, encore que pendant une génération, on nous avait soigneusement caché l'endroit mystérieux où avait été ronéotypée la déclaration du FLN. Comme cet endroit est situé à égale distance entre Oujda et Ghardimaou, le pouvoir, dans son immense sagesse, avait préféré laisser aux historiens étrangers le soin d'éclairer la lanterne des nationaux. Pour le 5 Juillet par contre, il y a matière à contestation puisque certains prétendent que c'est la déclaration des résultats du référendum du 1er juillet, émise deux jours plus tard, qui devait marquer la date d'accès à l'Indépendance et que le choix du 5 juillet n'était qu'une volonté délibérée d'effacer les honteuses conséquences d'un malencontreux coup d'éventail... Plutôt que de remettre sur le tapis les querelles byzantines ou de claironner des vérités contrefaites dans la langue de bois, il faudrait remettre les projecteurs sur les événements importants qui ont décidé, même a contrario, du triste destin de ce pays. Et la journée du 20 Août qui marque le plus les différences dans l'interprétation de l'Histoire? Alors que certains s'emploient à commémorer le souvenir de tous ceux qui sont tombés les armes à la main dans les maquis, les rues ou sont morts, après d'affreuses tortures dans les geôles du colonialisme, d'autres préfèrent faire revivre le sursaut révolutionnaire du Nord-Constantinois qui a donné un certain retentissement au mouvement de libération. D'autres par contre, en général, ceux qui sont restés coincés entre Dunkerque et Tamanrasset, préfèrent rendre hommage, à l'occasion du 20 Août, à l'homme qui a donné un sens à la lutte de libération en créant l'organigramme des institutions qui l'ont porté. C'est une façon comme une autre de réparer une cruelle injustice envers un homme dont le seul défaut a été d'être trop franc avec ses amis de combat et qui a su donner à la lutte une certaine efficacité dans la théorie et dans la pratique. Il a été aussi celui qui avait ouvert la porte de la Révolution à toutes les factions de la mouvance nationaliste, si l'on excepte le MNA. D'ailleurs, lui-même, n'a-t-il pas choisi la date du 20 Août pour rendre hommage aux compagnons de Zighoud Youcef? Mais le débat ne saurait être là, sur les lieux de commémoration ou sur l'identité des héros à honorer... Ensuite, et c'est là le débat, s'interroger sur le message historique qu'ont tenté de nous transmettre ceux qui croyaient en une autre Algérie: celle où Kaddour ne remplacerait pas François. C'est cela le sens des vrais débats d'où jaillira automatiquement la direction à prendre dans les choix économique et social.