Ahmed Lagraâ a connu une riche carrière diplomatique qui l'a conduit dans plusieurs pays, la Belgique, le Ghana, la France, le Maroc et la Tunisie. Il fut également conseiller juridique de la délégation algérienne à l'élaboration du droit d'asile en 1974, observateur de l'ONU et chef de la délégation algérienne aux élections multiraciales consacrant le démantèlement de l'apartheid en 1994, en Afrique du Sud. L'Expression: L'ambassadeur américain en Libye et trois fonctionnaires ont été assassinés mardi dernier dans un attentat contre le consulat des Etats-Unis à Benghazi. Quelle lecture en faites-vous? Ahmed Lagraa: La gravité de cet événement gravissime se situe à deux niveaux: d'abord la qualité des personnes tuées, à savoir l'ambassadeur américain et trois diplomates. Ensuite une répercussion inattendue dans la campagne électorale et qui tombe à point nommé pour les républicains qui ont toujours eu une position offensive en politique étrangère et une certaine flexibilité au plan intérieur contrairement aux démocrates. Il faudrait à Obama argumenter et justifier à l'opinion américaine, la faillite sécuritaire des Américains à l'étranger. Ceci dit puisque cette attaque ayant eu lieu à Benghazi et ciblant le symbole américain, il s'agit probablement d'une course effrénée pour le pouvoir entre le courant islamiste, Frères musulmans et salafistes qui ont été au premier plan durant les évènements meurtriers et qui ont été pratiquement évincés lors de la tenue des récentes élections. Ils sont revenus en force par cet acte dont ils ont saisi en temps opportun une assise religieuse. Au regard de l'évaluation de la situation dans la région avec notamment la dissimulation des armes libyennes, comment voyez-vous le futur sécuritaire en Libye et au Sahel? En ce qui concerne la question des armes, je peux affirmer que les instances politiques algériennes, civiles et militaires depuis la crise libyenne ont tout fait pour sensibiliser les instances régionales respectives sur le danger de ces armes et le destin régional qui en découleraient. Il me semble que les mises en garde de l'Algérie n'ont pas été entendues et les répercussions n'ont pas tardé. Je pense que cet état de fait rentre dans une stratégie bien étudiée de déstabilisation régionale pour redessiner une nouvelle carte géostratégique. Dans une récente interview, j'ai parlé d'une déstabilisation dont le processus évolutif serait sur un demi-siècle. Pouvez-vous analyser pour nos lecteurs les retombées et autres répercussions du «printemps arabe»? Ce qui se passe actuellement dans le Monde arabe en général et particulièrement dans les pays touchés par ce que l'on appelle le printemps arabe constitue le destin le plus dangereux de toute l'histoire des Arabes. L'indifférence affichée d'une partie de l'Occident et l'aide fournie par le côté officiel occidental à la rébellion sont de nature à inquiéter les démocrates des pays arabes parce que les plus farouches et déterminés à faire crouler les dictateurs arabes sont constitués par des forces recrutées au sein du camp islamiste. Dans cette marmite qui bouillonne à une température élevée, seules les masses populaires trinqueront. Un message à nos compatriotes, l'Algérie, qui a dépassé «ce stade évolutif du printemps arabe», n'est pas dans l'immédiat à l'abri mais comme je ne cesse de le répéter, la menace viendrait du Sud si toute une politique que j'ai détaillée récemment n'est pas mise en oeuvre immédiatement. Enfin, là où le bat blesse, ceux qui parrainent aux côtés de l'Occident ce printemps arabe sont un ou deux Etats arabes les plus rétrogrades de la planète. C'est plus qu'un paradoxe...