Malgré sa victoire sur les islamistes aux élections législatives de juillet, l'Alliance des libéraux a échoué à s'emparer des postes-clés du pouvoir, en présence d'un CGN dominé par des indépendants aux motivations régionales ou tribales. La composition du Congrès général national (CGN), l'Assemblée nationale, où les indépendants, une mosaïque de clans politiques, régionaux et tribaux, disposent de 120 sièges sur 200, a empêché l'Alliance des forces nationales (AFN) d'obtenir la majorité. Entre les élections d'un président du CGN en août et celles d'un chef de gouvernement cette semaine, l'AFN semble toutefois gagner plus de sympathisants parmi les députés que son rival le Parti de la justice et de la construction (PJC) issu des Frères musulmans, dont les candidats sont balayés à chaque fois au premier tour. Deux voix seulement ont manqué mercredi, au chef de l'AFN, Mahmoud Jibril pour remporter le poste de Premier ministre au deuxième tour, face au vice-Premier ministre du gouvernement sortant, Moustapha Abou Chagour qui se présentait en tant qu' «indépendant». M.Abou Chagour a obtenu 96 des votes au CGN contre 94 pour le candidat de l'AFN. Au Premier tour, M.Jibril avait obtenu 68 voix contre 55 pour M.Abou Chagour et 41 pour le candidat du PJC Awadh al-Barassi. En août, Mohamed Megaryef, opposant historique au régime de Mouamar El Gueddafi, avait été élu président du CGN avec 113 voix contre 85 pour le candidat des libéraux. Les islamistes du PJC avaient également perdu au premier tour. «Ces élections montrent que les appartenances tribales et régionales et l'intérêt national ont été plus influents que les composantes politiques», estime l'analyste, Ibrahim Gouider. Durant quarante ans au pouvoir, le régime de Mouamar El Gueddafi, renversé par une révolte populaire en 2011, interdisait la formation de partis politiques. «Il n'y a pas encore de traditions politiques. Ces partis ont besoin de temps et de programmes pour pouvoir gagner en influence», a ajouté M.Gouider. Lors des premières élections libres du pays, le 7 juillet, l'AFN, une coalition d'une soixantaine de petits partis libéraux menée par des architectes de la révolte de 2011, avait remporté 39 sièges sur les 80 réservés à des partis politiques au CGN, tandis que le PJC est arrivé deuxième avec seulement 17 sièges. Selon Abderrazak al-Dahech, auteur et journaliste libyen, «les élections au CGN n'ont pas traduit la volonté des électeurs qui ont voté massivement (le 7 juillet) pour l'AFN». «L'absence de majorité à l'Assemblée pourrait provoquer un blocage au niveau de la prise de décision en l'absence d'un consensus national», a-t-il estimé. Les décisions au CGN sont prises à la majorité des deux tiers, selon la déclaration constitutionnelle qui régit la période transitoire post-El Gueddafi. Mais l'assemblée a amendé récemment le texte en faveur d'un vote à la majorité simple pour les décisions importantes comme les déclarations de guerre ou la dissolution du gouvernement. Les élections du chef du CGN et du Premier ministre ont montré par ailleurs une percée importante pour le Front de salut national libyen (FSNL), une formation politique qui réunissait les opposants à l'exil du dictateur défunt Mouamar El Gueddafi, et dont MM.Abou Chagour et Megaryef étaient membres. Pour Mohamed al-Mofti, un indépendant, qui s'était porté candidat pour le poste de Premier ministre, le CGN est une «mosaïque» qui travaille «sous tension». «Le bloc de Mahmoud Jibril était présenté comme le principal groupe parlementaire, mais il a montré rapidement sa faiblesse», tandis que «les indépendants, dont la plupart sont des jeunes ambitieux et patriotiques, n'ont pas pu garder leur indépendance et leurs voix ont été réparties entre le reste des blocs».