La pénétration du marché algérien, selon le plan Eizenstat, reste la priorité de Washington malgré les tensions politiques qui risquent de perdurer. Le marché algérien, pour les experts américains, n'est pas uniquement celui des hydrocarbures. Aussi, des «entreprises-mastodontes» telles IBM, Microsoft, Xerox, Lincoln Electric, Black & Decker, Coca-Cola, General Electric, Caterpillar, Honeywell, Lilly & Pfizer, Northrop, Motorola, etc., s'intéressent de plus en plus à l'évolution du marché algérien. En juillet 2001, face à la forte participation française à la Foire internationale d'Alger, Anadarko était le seul géant pétrolier présent. Ce qui a dû faire plaisir à Dick Cheney... Voilà ce qui intéresse au plus haut point Washington : vendre à l'Algérie, acheter, étendre ses entreprises sur le Maghreb, y placer des «miradors» surplombant et l'Europe et le continent africain afin de renforcer leur sécurité extérieure, «premier palier de la sécurité intérieure». Quant aux distorsions politiques internes à l'Algérie, les rapports secrets américains proposent une lecture très intéressante, avec ce recul que ni les Français ni les Européens ne possèdent... Les groupes islamistes armés sont décrits comme autant de conglomérats de terroristes sans envergure, aux contours mal éclairés et aux objectifs politiques flous, ce qui les apparentent à des réseaux mafieux de moindre importance. Seul le Gspc de Hacène Hattab présente pour Washington quelque intérêt du fait, notamment, de son implantation dans une région - la Kabylie - secouée par les tensions politiques et sociales, et, surtout, parce qu'il peut présenter la spécificité d'avoir des liens directs avec la direction d'El-Qaïda, et, donc, devenir dangereux pour les intérêts américains dans la région. La crise kabyle est présentée dans les rapports américains comme une «poussée de fièvre», «une révolution de jeunes de banlieue», ou, dans le meilleur des cas, comme «une excroissance de conflits d'intérêts», qui ne peut concrètement avoir de sérieuses incidences sur le monde des affaires et de l'économie extérieure. Le président Bouteflika n'est ni «un quart-président» ni un «otage des militaires». Le recul des Américains par rapport à l'«émotion française» permet à ceux-ci d'affirmer qu'il a été élu, qu'il est «seul maître de ses décisions» et que, par contre, «son gouvernement manque de cohésion» et que sa «réussite extérieure tranche nettement avec son demi-échec au plan de sa politique intérieure». En fait, l'«instabilité de l'Algérie est toute relative, car il n'y a rien d'alarmant. L'Etat et la société tiennent le coup et les zones de turbulences tendent à se dissiper». Au moins dix documents ultraconfidentiels, synthèse de plusieurs dizaines de rapports, avaient été préparés par le Conseil national de sécurité, étudiés par Condoleezza Rice, et présentés au président Bush. Ces rapports qui portent souvent la «griffe» de Dick Cheney, vieux connaisseur de l'Algérie, en sa qualité d'ancien dirigeant de la compagnie pétrolière Halliburton (toujours en relation d'affaires avec la compagnie pétrolière algérienne Sonatrach), le secrétaire d'Etat Colin Powell, le patron de la CIA, George Tenet, Abraham Spencer et celle, enfin, du ministre des Négociations commerciales internationales, Robert Zoellik.Dans les rapports multiformes Algérie-Etats-Unis, c'est, évidemment, l'Algérie qui s'impatiente. Pour trois raisons : d'abord, elle souhaite échapper au carcan français, qui l'a si longtemps décrédibilisée vis-à-vis de la communauté européenne, trop encline à suivre le gouvernement français dans ce qui concerne les questions algériennes. Ensuite, l'Algérie souhaite renouveler son armement, acheté jusqu'à une époque récente à l'Union soviétique et, donc, devenu obsolète. Enfin, l'Algérie souhaite adhérer au plus vite à l'OMC et attend un coup de pouce américain face aux réticences européennes, notamment avec la nouvelle loi votée par l'Assemblée, relative à l'interdiction d'importation d'alcool, ce qui sera un nouveau motif pour les experts en commerce international, de retarder l'adhésion algérienne à l'Organisation du commerce. Troisième client dans les hydrocarbures - après la France et l'Italie - et un des premiers investisseurs en Algérie, les Etats-Unis ont, depuis ce plan élaboré leur plan. Il s'appelle «le plan Eizenstat», du nom du sous-secrétaire aux Affaires économiques, Stuart Eizenstat, nommé en 1999 au département de la Trésorerie où il continue à suivre le dossier maghrébin. Le projet vise à la pénétration des entreprises américaines dans un Maghreb démocratisé et dépourvu de barrières douanières. Selon Eizenstat, ce plan n'est pas «un arrangement au centre duquel se trouveraient les Etats-Unis avec trois relations bilatérales séparées, quelle qu'en soit l'importance. Il s'agira, au contraire, d'un partenariat dynamique multilatéral basé sur un renforcement permanent des liens économiques au Maghreb».