Le chassé-croisé américano-européen risque, à la longue, de peser lourd dans les rapports de force. Alors que l'initiative des «5+5», qui reste une offensive à prédominance européenne, termine de régler ses mécanismes de coopération, Alger note avec intérêt la visite aussitôt annulée du secrétaire d'Etat adjoint pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord, David Welsh. Si, pour des motifs sécuritaires, économiques et politiques, le Maghreb présente aujourd'hui aux yeux de l'Occident un enjeu majeur, il y a aussi le fait qu'il constitue un espace de lutte d'influence entre l'Europe et les Etats-Unis. Si jusqu'en 2000, l'Europe, et principalement la France, a dominé l'espace maghrébin, jusqu'à en faire sa chasse gardée, depuis les événements du 11 septembre, les Etats-Unis ont opéré une percée remarquable dans le Maghreb et la région sahélo-saharienne. Résultat, on assiste à une sorte de chassé-croisé de lobbyings, d'intérêts et de stratégies des puissances. Pour les Etats-Unis, le plan économique Eizenstat est toujours en vigueur pour le Maghreb. Ce plan tend à lever les embûches douanières et tarifaires et permettre de fait une meilleure percée du marché local. Le plan Pan-Sahel, lancé en 2003, tend de son côté à mettre sous la loupe la région sous le motif que Al Qaîda prévoit d'en faire une rampe de lancement de son djihad contre l'Occident. Washington pénètre aussi le Maghreb par l'entremise de l'Otan, qui fait imbriquer les pays du nord de l'Afrique dans une stratégie sécuritaire qui fait le jeu des gourous de la sécurité américaine. Les disparités d'intérêt du groupe «5+5» ne peuvent résister longtemps à l'épreuve du temps et, finalement, on peut espérer uniquement des coopération de type Algérie-France, Espagne-Maroc, etc., non une homogénéité du groupe qui répondrait au quart de tour. Le projet euro-méditerranéen est né il y a dix ans à Barcelone. A l'époque, il avait nourri beaucoup d'espoir parce que, pour la première fois, l'Europe du Sud et les pays du Maghreb s'apprêtaient à réfléchir en termes de coopération de longue durée et de stratégie commune. Le processus de Barcelone ambitionnait de créer au Maghreb une zone de stabilité, de paix, de sécurité et de libre-échange. Le plan Eizenstat, qui est venu un peu plus tard, visait les trois pays nord-africains, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Le projet du sous-secrétaire aux Affaires économiques de l'époque, Stuart Eizenstat, portait sur la pénétration des entreprises américaines dans un Maghreb démocratisé et dépourvu de barrières douanières et tarifaires lourdes. Selon Eizenstat, ce plan «n'est pas un arrangement au centre duquel se trouveraient les Etats-Unis avec trois relations bilatérales séparées, quelle qu'en soit l'importance. Il s'agira, au contraire, d'un partenariat dynamique multilatéral basé sur un renforcement permanent des liens économiques au Maghreb». Ce plan qui date de 1995-96 avait en face une Algérie désarticulée, tout comme le processus de Barcelone. Le Maroc et la Tunisie étaient en pole position, mais depuis les donnes ont changé. L'Algérie offre aujourd'hui l'assurance d'un pays aux énormes potentialités, précurseur en matière de lutte antiterroriste et engagé à fond dans les nouveaux enjeux qui entourent la région. Cela n'est pas sans créer quelques zones d'ombre. La Russie, partenaire stratégique traditionnel de l'Algérie, s'interroge sur l'engagement de celle-ci dans les exercices militaires de l'Otan, et, au moment où l'Europe paraissait plus proche du Maghreb, les Etats-Unis ont fait une «percée» dans la vaste bande du Sahel et pourraient facilement prendre pied dans le Maghreb à la faveur de la hantise sécuritaire planétaire générée par les attentats du 11 septembre et dont Washington se fait le tuteur et le porte-drapeau. Les pays du Maghreb, pour le moment, profitent d'un tel intérêt de la part des puissances. Mais, dans la durée, ce chassé-croisé des grandes puissances risque de peser lourd dans les rapports de force.