Les Etats-Unis veulent aplanir les divergences entre l'Algérie et le Maroc pour mettre en marche leur «plan maghrébin». Le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, est attendu le 14 février à Alger pour une visite destinée au renforcement de la coopération sécuritaire: militaire et de renseignement entre les deux pays. Donald Rumsfeld et une délégation militaire américaine de haut rang seront reçus par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ainsi que par le ministre délégué à la Défense nationale, Abdelmalek Guenaïzia, et le chef d'état-major de l'armée , Ahmed Gaïd Salah. La coopération militaire bilatérale et la lutte contre le terrorisme seront au centre de ces discussions, qui porteront également sur le problème du Sahara occidental. Celui-ci envenime les relations algéro-marocaines depuis plus de trente ans. Les Etats-Unis veulent, en fait et vite, aplanir les divergences entre l'Algérie et le Maroc pour mettre en marche leur «plan maghrébin» du fait qu'ils sont déchirés entre deux guerres dont l'issue n'est pas encore certaine, puisque engagés d'abord en Afghanistan, qui connaît un retour inquiétant des Talibans, et à partir de 2003, en Irak, où se jouent, à ce jour, des sortes de «mini-guerrillas non-stop» éprouvantes et très coûteuses, sur tous les plans, pour les Etats-Unis. En effet, Washington a besoin, et vite, d'assainir le climat au Maghreb , avant de revoir sa stratégie au Machrek. Toutefois, cette percée militaire ne doit pas cacher aussi les objectifs économiques qui la sous-tendent. Pour les Etats-Unis, le plan économique Eizenstat est toujours en vigueur et très approprié pour le Maghreb. Ce plan tend à lever les barrières douanières et tarifaires et permettre, de fait, une meilleure percée dans le marché local. Le plan Pan-Sahel, lancé en 2003, tend de son côté à mettre sous la loupe la région sahelo-maghrébine, au motif qu'Al Qaîda prévoit d'en faire une rampe de lancement de son djihad contre l'Occident. Sur un autre plan, Washington pénètre aussi le Maghreb par l'entremise de l'Otan, qui fait imbriquer les pays du Nord de l'Afrique dans une stratégie sécuritaire qui fait le jeu des responsables de la sécurité américaine. Le plan Eizenstat, qui est revenu à l'assaut à plusieurs reprises, visait les trois pays nord-africains, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Le projet du sous-secrétaire aux Affaires économiques de l'époque, Stuart Eizenstat, portait sur la pénétration des entreprises américaines dans un Maghreb démocratisé et dépourvu de barrières douanières et tarifaires lourdes. Selon Eizenstat, ce plan «n'est pas un arrangement au centre duquel se trouveraient les Etats-Unis avec trois relations bilatérales séparées, quelle qu'en soit l'importance. Il s'agira, au contraire, d'un partenariat dynamique multilatéral basé sur un renforcement permanent des liens économiques au Maghreb». Ce plan qui date de 1995-96 avait en face une Algérie désarticulée et un ensemble maghrébin désuni. Le Maroc et la Tunisie étaient en meilleure position, mais depuis les événements du 11/9 la donne a changé. L'Algérie offre aujourd'hui l'assurance d'un pays aux énormes potentialités, précurseur en matière de lutte antiterroriste et engagé à fond dans les nouveaux enjeux qui entourent la région. Cela n'est pas sans créer quelques zones de tension. La Russie, partenaire stratégique et traditionnel de l'Algérie, s'interroge sur l'engagement de celle-ci dans les exercices militaires de l'Otan, d'autant plus que, depuis l'éclatement du Pacte de Varsovie, Moscou estime que l'Otan n'a plus de raison d'être. La percée américaine est d'autant plus spectaculaire qu'elle se fait au moment où l'Europe paraissait plus proche du Maghreb, par le biais d'une stratégie euro-méditerranéenne, l'Euromed, mais qui tarde à se concrétiser. Les Etats-Unis ont accordé une attention particulière et investi plus sérieusement dans la région, si l'on en juge par le volume des échanges commerciaux, achats et investissements, estimés à près de sept milliards de dollars. Encore que cette «percée» dans la région du Maghreb possède des atouts majeurs, dont principalement, la hantise sécuritaire planétaire générée par les attentats du 11/9 et la «total war» qui s'en est suivie, et dont Washington se fait le tuteur et le porte-drapeau. La visite de Donald Rumsfeld intervient après celle de Robert S. Mueller, le chef du FBI, la police fédérale américaine, et après celle, tout aussi significative, du général d´armée Charles F. Wald, adjoint au commandant des Forces armées américaines en Europe qui a été longuement reçu par le général-major Ahmed Gaïd Salah, chef d´état-major de l´Armée nationale populaire, lundi dernier, en audience, au siège de l´état-major de l´ANP. «L´état des relations de coopération militaire entre l´ANP et le commandement des forces américaines en Europe», ainsi que «les perspectives de leur développement», avaient été au centre des entretiens auxquels ont assisté de hauts responsables de l´état-major de l´ANP et du ministère de la Défense nationale. Le patron de la police fédérale américaine (FBI) Robert S. Mueller, homme de terrain et direct dans ses propos, avait résumé tout cela dans une seule phrase: «La nécessité d´échanges d´informations rapides entre les Etats-Unis et les pays du Maghreb pour prévenir les attaques terroristes». Cette nécessité pour les Etats-Unis, cette «urgence», serions-nous tentés de dire, se traduit aussi par le fait que Washington veut réellement pousser les régimes arabes vers plus de démocratisation de leurs institutions. Son plan du Grand Moyen-Orient est né d'une révision totale de ses relations avec les Etats arabes et de constats amers que son appui à des Etats répressifs et antidémocratiques donnait naissance à des groupes radicaux et extrémistes de tout bord.