L'eau est en délire, l'assiette en folie, le bacille en effervescence et les gens à l'hôpital. C'est le scénario intra-gastrique de la capitale depuis une quinzaine de jours. Et comme il se doit, le mal ne frappe que dans les quartiers populaires. Cité évolutive, un peu plus loin sur les hauteurs de Diar El-Djemaâ. Rien que pour la journée d'hier, cinq cas de typhoïde ont été recensés. A Kouba, Hussein Dey, Bourouba et Bachdjarah, au moins cent cas depuis une semaine. Les Urgences des hôpitaux de Kouba, d'Hussein Dey (Parnet) et de Beaulieu (Zmirli) sont prises d'assaut. Quelques piqûres avant d'orienter les malades vers El-Kettar. Rien qu'à entendre ce nom, les gens ont la chair de poule. Les services communaux chargés de la prévention sanitaire paniquent. Dans les cités touchées par la bactérie, ces techniciens de la santé disent n'avoir rien vu venir. Pré-ven-tion. C'est le nom de leur service pourtant. Il y a une semaine, une responsable du secteur sanitaire de Bachdjarah appelle un confrère de l'hebdomadaire sportif El Mountakhab pour lui signifier que l'eau qui coule des robinets de la Maison de la presse de Kouba «n'est pas bonne et, peut être même contaminée». Les autres confrères ne sont pas au courant. Par la canicule qui sévit, on peut encore boire à satiété. A Diar El-Djemaâ, les gens n'ont pas vu l'eau depuis dix jours. A Maqaria, l'eau vient rendre visite à ces conduites d'aluminium, appelées tuyaux d'eau, un jour sur trois. A Aïn Allah, les gens sont restés 7 jours sans eau. Les responsables ont avancé l'argument du plan Orsec, alors que certains privilégiés de la cité recevaient l'eau courante un jour sur deux. Sur les hauteurs de Bouzaréah, à Bouhamam, chez mon ami Adlène, l'eau est «lâchée» un jour sur deux. Parfois, elle «vient» claire, parfois couleur cendre. A Maqaria, Brossette et Ruisseau, elle est parfois boueuse, couleur calcaire. A la cité Cosider de Bordj El-Kiffan, l'eau est rare. En revanche, elle est abondante dans les caves de la cité. De l'eau en abondance. Stagnant là, depuis 1998. Noire, sale, un «vivier» de moustiques. A côté, «Qahwet Echergui», où d'un côté les gens qui reçoivent l'eau un jour sur deux, de l'autre, ceux qui la reçoivent un jour sur trois. La conduite d'alimentation est pourtant la même. «Alors, qu'est-ce que c'est, cette eau? Qu'est-ce qu'elle a la religion de sa mère?», s'insurgent les habitants de la cité Bel-Air et Dessolier, qui voient leur septième voisin évacué à l'hôpital Zemirli. Alors, plan Orsec? Eau contaminée? Aliments avariés? Expliquez-nous, nom d'une pipe! Aucun démenti, aucune information, aucun apaisement ne viennent orienter l'esprit des mal-pensants et des foyers en total déphasage. Aucune «hamla dhat manfaâ âma» ne vient expliquer à la télévision ce qui se passe. Vaille que vaille, les familles qui ne peuvent s'offrir Ifri, Saïda et autres eaux minérales à 35 dinars, font bouillir l'eau courante ou la javellisent carrément. Virée à l'hôpital de Kouba. «Combien y a-t-il d'évacués vers El-Kettar? Combien recevez-vous de gens quotidiennement pour des problèmes gastriques, de typhoïde ou de contamination?» Aux renseignements, on ignore. On monte au premier étage, aux Urgences. Les médecins se dandinent, les infirmiers papotent, les agents draguent. Nos questions ne trouvent pas «preneurs». A côté, une diabétique voit son sucre monter à 4 grammes, et aucun infirmier n'est encore là pour lui faire son injection d'insuline. La veille, il était monté à 5 grammes et elle s'était évanouie. Personne, parmi le personnel médical, ne s'en était aperçu. Son voisin, diabétique lui aussi, a été amputé de trois orteils. Encore «sonné» par l'amputation, on lui demande de quitter la chambre! Deux heures après, le directeur de l'hôpital lui-même «descend» pour mettre de l'ordre. Nous sortons, l'enquête en déroute et le truc sous le bras. Dehors, les gargotes font le plein. Méchoui, merguez, huile frelatée, brûlée et recuite sert encore à cuire et à frire. Notre assiette est en délire. Notre verre d'eau est en furie. A quand une véritable campagne de sensibilisation de la part des autorités sanitaires? Téléphone aux hôpitaux «récepteurs» des malades. Alors? «Y a pas le feu, tous ont été soignés et sont rentrés chez eux. Y a pas le feu!» Oui, mais il y a les microbes qui nous font chialer, crier, s'entortiller, se plier en quatre dans une diarrhée d'enfer à en faire sauter «bit erraha». Fouha, va! Finalement, ce n'est pas des citoyens contaminés que nous devons nous étonner, mais des «en bonne santé», des «sains». Comment ils font? C'est délirant !