Le ministère des Affaires religieuses organisera, jeudi, la « salat l'istisqa » à travers l'ensemble des mosquées du territoire national, compte tenu de la sécheresse qui commence à menacer sérieusement puits, barrages et robinets. Cette prise en charge du problème de l'eau par l'autorité religieuse dénote le degré de gravité de la situation. A Skikda, plusieurs localités ont connu des débuts de troubles plus ou moins importants. Contactée, il y a quelques jours, notre consoeur à Skikda, Boussekine Zahra, nous a dressé un tableau alarmant sur la situation des barrages. La moyenne du niveau des barrages a largement baissé, contraignant à des restrictions draconiennes en matière de distribution d'eau courante, et motivant, de fait, de larges mouvements de protestation. Alors «l'automne de la colère hydrique?» Il y a lieu de le dire, d'autant plus que la contestation sociale au nom du manque d'approvisionnement en eau a pris forme depuis le début de l'été. L'eau, d'ordinaire vecteur de maladies dites MTH, a été entre juin et août un détonateur dangereux dans au moins huit wilayas. Une source d'eau, un robinet commun ou un simple raccordement de conduite pour alimenter les plus démunis auraient pu éviter la «casse» à Guelma, Henchir (Oum El-Bouaghi), Sidi Aghriss, Sidi Amar (Annaba) et Hasnaoua (Bordj Bou-Arréridj). Eau salée, boueuse, «rouillée», javellisée ou simplement plate, on aurait vu l'eau sous toutes ses couleurs, si au moins elle arrivait régulièrement aux robinets. Mais tout le problème est là: le niveau des barrages clignote au rouge et on doit faire face à un problème qui risque de projeter l'eau au centre de troubles sociaux graves. Que les gens vivent la précarité, la promiscuité, le chômage et l'insécurité, passe. Mais qu'ils arrivent à perdre «le goût de l'eau», il y a de quoi prévenir le pire. On l'a vu: les gens misent plutôt sur une mauvaise gestion de l'eau, une mauvaise planification des Entreprises en eau, une piètre politique dans le domaine de l'hydraulique et des ressources en eau, que sur la fatalité d'une année parcimonieuse en pluviosité. Lors de son périple dans les Hauts-Plateaux (Djelfa, Boussaâda et M'sila), puis à l'Est (Khenchela, Oum El-Bouaghi et Constantine), Benflis a inauguré plusieurs barrages et a insisté sur la nécessité, pour les élus, d'être à l'écoute du petit peuple. «Est-il à ce point difficile de placer une conduite d'eau pour ceux qui n'en ont pas?», a-t-il martelé à plusieurs reprises. En réalité, la gestion de l'eau en Algérie est catastrophique. C'est le moins qu'on puisse dire. Les quantités qui s'échappent annuellement des conduites usées ou mal raccordées se chiffrent en milliards de m3. Le fait que les eaux de pluies, qui proviennent des montagnes de l'Atlas pour se déverser dans la Méditerranée sans trouver un barrage pour les retenir, aussi petit soit-il, est un véritable gâchis. A Alger, capitale mal gérée par excellence, les symptômes sont visibles. «Lâchée» un jour sur cinq par-ci, un jour sur dix par-là, l'eau reste capricieuse, imprévisible et se fait désirer. On se lave moins et les enfants sont plus sales, notamment dans les quartiers populaires. Bidons, jerricans et autres bouteilles vont et viennent, remplis ou vides, au gré des coupures d'eau. Et c'est justement dans ces périphéries, à la lisière des grandes villes, que la violence naît et s'alimente. Dans certains quartiers, il faut veiller tard, se lever tôt ou ne pas dormir du tout, pour recueillir ce précieux liquide. A la cité Cosider, à Bordj El-Kiffan, par exemple, l'eau est rare dans les robinets. Un jour sur trois. En revanche, dans les caves, l'eau stagne, là, depuis la nuit des temps, c'est-à-dire depuis 1996, l'année de la construction de la cité. Le mois de septembre a conjugué eau avec typhoïde. Des dizaines de cas recencés à travers la capitale (Kouba, Hussein Dey, E-Harrach...) et dirigés vers l'hôpital d'El-Kettar. Aucune communication officielle n'est venue apaiser la crainte des parents, aucune «hamla dhat manfaâ âmma», rien. On boit, on tombe malade, on se soigne et on boit de nouveau. Sauf que ces jours-ci, il ne reste pas beaucoup d'eau à boire. Plus que le chômage et le logement, les deux axes centraux autour desquels s'articule toute la contestation sociale des jeunes, le problème de l'eau risque fort d'être au centre de troubles sociaux très profonds. Les indicateurs sont déjà au rouge.