Yasmina Khadra et Kaddour M'Hamsadji au 17e SILA la voix et la voie de l'écrivain sont dans ses oeuvres. Le lecteur absurde est celui qui veut les changer, et ce n'est pas le rôle de la critique littéraire, non plus. Un écrivain est le complexe de tous ses actes de pensée écrite. C'est un homme (ou une femme) dont la nature n'est ni entièrement bonne ni entièrement mauvaise, - puisqu'ils sont lui et elle, malgré eux, soumis d'abord à l'idée qu'ils ont d'eux-mêmes puis à celle que leur attribuent surtout leurs lecteurs et une critique littéraire professionnelle saine. En somme et finalement, l'avenir, récusant tout jugement sur la personne, définit le destin d'une oeuvre plutôt que de son auteur. Aussi les organisateurs du 17ème Salon international du livre d'Alger ont-ils été bien inspirés en rendant hommage, le jeudi 27 septembre dernier, à l'oeuvre de Yasmina Khadra, - j'observe bien, non à la personne mais à la littérature produite qui est le fait de l'auteur et qui, intelligente, nous instruit sur notre temps et nous éduque aussi. C'est donc un hommage spécifique à l'oeuvre tout en faisant une distinction subtile du talent de l'auteur. Leçons de vie L'oeuvre de Yasmina Khadra est, en effet, toute de pédagogie, d'optimisme et d'espérance. On peut y découvrir une école libre pour tous, où l'on enseigne le possible amour, où l'homme vaut l'homme. La jeunesse algérienne, la société algérienne et même les démunis, les laissés-pour-compte dans de nombreux pays puiseront quelque énergie pour s'éveiller et se résoudre à se débarrasser de l'immobilisme malsain et du défaitisme rétrograde; c'est par la culture, le travail et la solidarité que l'être humain ouvre le chemin de sa propre liberté et constitue, en toute conscience, son trésor de vie. Dans l'oeuvre de Yasmina Khadra, il y a des leçons de vie, il n'y a pas de leçons de morale pour vivre humainement. Le bonheur est possible dans chacune de ses oeuvres. On y apprend comment y parvenir, et c'est dans le seul secret du respect de l'Autre et dans la volonté d'agir pour construire un monde juste. Même dans les graves moments de misère, l'écrivain façonne, pour son lecteur où qu'il soit, la possibilité d'un émerveillement qui peut jaillir à chaque instant tel un humour salvateur. Il a l'air de lui dire, avec un sourire en coin (Yasmina Khadra est toujours souriant et avenant), comme quelque fier et infatigable nomade rencontré dans un désert fantastique: «T'en fais pas mon frère, la route de la vie est longue, mais tu trouveras une station paisible pour te rafraîchir l'esprit.» Il y a du sens positif dans n'importe quel livre de Yasmina Khadra, «nomade» lui-même (il est né en 1955 à Kenadsa, près de Bechar [Sahara algérien] d'un père infirmier qui rejoindra les rangs de l'ALN, en 1958, et d'une mère nomade); et ce bon sens y est fidèlement encore dans ses dernières publications: L'Olympe des infortunes (2010), L'Equation africaine (2011) et Les Chants cannibales (2012) que j'ai déjà présentées dans la rubrique Le Temps de lire. Il vient de publier Algérie (texte éclatant de passion pour son pays, accompagnant les vues magnifiques du photojournaliste Reza, format beau livre, éd. Michel Lafon, 2012, distribué par Edif 2000, Alger). Je présenterai prochainement cet ouvrage Algérie dont je reproduis pour les lecteurs cette annonce de Yasmina Khadra: «Je veux te faire découvrir mon pays, ses villes et ses ergs, ses êtres et ses mythes, jusqu'aux rochers cathédrales veillant sur son désert. Je m'effacerai, pour toi, devant mes gens et leurs chants, et tu verras, de tes propres yeux, le sirocco taquiner la barkhane, les D'Arguez, ces preux montagnards, louer la foulée imprenable des Touaregs, les oulémas de Constantine et de Tlemcen vanter la prose insolente des troubadours, et les titans de la Numidie pleurer la dérive des harragas.» Corps d'images Ainsi l'oeuvre de Yasmina Khadra, quels que soient les thèmes abordés, vise à mettre à l'épreuve les thèses générales sur la condition humaine dans l'actualité et parfois dans le passé plus ou moins lointain. C'est pourquoi, je considère que la valeur humaine présentée clairement ici ou là dans l'oeuvre, qu'elle soit imaginée ou qu'elle soit le reflet de la réalité, donne la puissance de l'imagination productrice, la mesure du talent littéraire et la profondeur de la réflexion de notre écrivain, - l'ensemble intégré dans un espace psychologique ouvert à la raison et fermé à toutes les nuances de l'immodestie de certains critiques littéraires et particulièrement aux accès de fièvre chafouine d'une «Gendelettrerie» aléatoire. Mais grâce à Dieu et aux sacrifices d'hommes et de femmes de bonne volonté, l'Algérie, depuis cinquante ans d'indépendance, est un immense chantier qui, pour être parfaitement mené, n'aura jamais assez de tous les bras et de tous les cerveaux des Algériens; et dans le domaine de la culture et des sciences, l'étrange hantise de dépasser l'autre, coûte que coûte, pour être devant l'autre, est un comportement abominable. Après cela, il ne reste plus que le silence. Je tiens, en ce cinquantième anniversaire de l'Algérie indépendante, ces quelques réflexions toutes personnelles à développer: - une Algérie qui est un corps d'images, formé depuis la nuit des temps, - une rêverie qui commencerait enfin une autre vie sans triste solitude, - une vie avec des histoires d'hommes et de femmes qui méditent des inventions et des créations... Je tiens aussi et surtout un beau souvenir qui donne de la clarté à l'âme et qui, peut-être, ferait de Yasmina Khadra et de tant d'autres grands écrivains algériens de tous les temps, un modèle pour les jeunes. J'ai appris, il y a peu, de la bouche d'un homme, si j'ose dire, encore jeune et pourtant normalement à la retraite qu'il avait été le professeur de français de Yasmina Khadra lorsque celui-ci était élève à l'Ecole Nationale des Cadets de la Révolution. Ce professeur s'appelle Abdelkader Khelifati; il m'écrit: «Parti pour disputer une partie d'échecs à Koléa, j'ai fini par y être affecté en qualité d'enseignant à l'Ecole Nationale des Cadets de la Révolution (ENCR) dans les années 70. Pendant cette période, Mohammed Moulessehoul, cadet de son état, s'était totalement investi dans la troupe de théâtre de l'Ecole. Sa rencontre avec le Président de la République, en inspection particulière, a peut-être galvanisé davantage cet écrivain en herbe. (Nota: les personnes qu'il cite dans son livre L'Ecrivain, tels les officiers Ouared, Boudjemaa, Bouchiba et tous les enseignants de Koléa sont donnés sous leur vrai nom. Le profil de Mohamed Moulessehoul? - Totalement dédié dans l'ouvrage précité (L'Ecrivain, une enfance algérienne)... Où ai-je retrouvé Yasmina Khadra? - Dans la Collection POCKET, en 2007! ce qui me poussa à lire plusieurs de ses livres. -- Je le retrouve enfin, en chair et en os, en 2012, lors de la vente-dédicace à la librairie du Tiers Monde. Je lui murmure quelques indices de l'époque de Koléa, et voilà qu'il me consacre un petit moment en suspendant ses dédicaces. Je lui dis à tout hasard que j'en étais venu à la lecture de romanciers algériens depuis 1961 avec Kaddour M'Hamsadji. Il me confia à son tour: ́ ́ Je suis doublement fier de cette croisée de chemins insolite entre nous trois et à des époques aussi espacées (1961-1973-2012). Je dois beaucoup à M.M'Hamsadji, moi aussi.» «Jeunes plumes» Emouvante amabilité de Yasmina Khadra! Je confie, quitte à paraître immodeste, ce souvenir à nos amis: Au Salon du livre de Paris de 2002, comme il était suivi d'une équipe de télévision française et d'une nuée de photographes et qu'il arrivait au stand Algérie, Yasmina Khadra m'aperçut et, s'approchant de moi, il m'embrassa en disant: «C'est grâce à lui que je suis devenu un écrivain!» Violente surprise, trop forte, trop douce pour ma petite personne! Néanmoins, je réussis à calmer la houle de sensations qui me secouait et je crois avoir laissé échapper spontanément ces mots simples: «Non, non, je n'y suis pour rien. Vous êtes un grand écrivain, Monsieur!» Tout plein de sa générosité croissante, Yasmina Khadra m'apprit qu'il avait suivi autrefois mon émission ́ ́Jeunes Plumes ́ ́ à Alger, chaîne 3, dans les années 70. Effectivement, à une époque je recevais du courrier de jeunes qui s'essayaient à l'écriture surtout de poèmes et de courts récits. C'est vrai, j'en avais détecté des talents, mais spécialement celui de quelqu'un dont j'ai oublié le nom, et comment aurais-je pu m'en souvenir encore aujourd'hui? Ce nom, avait été pourtant répété plusieurs fois au micro pendant tout le temps qu'avaient duré les émissions «Jeunes Plumes» dont j'étais le producteur et le présentateur,... parfois le professeur naïf mais sincère invitant les jeunes intelligences volontaires et ambitieuses à l'apprentissage du «bien écrire». Qu'il est loin ce temps-là! Toutefois, que je suis heureux à présent, et fier légitimement! La vie est magique: avoir été le professeur de Abdelkader Khelifati, professeur de Mohammed Moulessehoul, et avoir eu, sans le savoir, le futur Yasmina Khadra dans mon émission ́ ́Jeunes Plumes ́ ́, c'est un inestimable émerveillement! Je suis incapable d'en tirer une conclusion. À l'âge que j'ai, mûri par une longue formation professionnelle en pédagogie et par plus d'un demi-siècle d'écriture et de lecture, je dois reconnaître que j'ai vécu une époque de bonheur historique; j'ai rencontré de grands esprits intellectuels à la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963, dont j'ai été le Secrétaire général adjoint et Mammeri, le président impeccable. Je dis simplement merci à ceux que j'ai côtoyés et qui m'ont fait don de leur amitié et de leur confiance, mes chers aînés Mouloud Mammeri, Moufdi Zakaria, Mohamed Laïd Khalifa, Malek Haddad, Kateb Yacine, Salah Kharfi, Mohammed Chérif Sahli, M'hamed Aoune, Mourad Bourboune, Ahmed Azeggagh, Mohamed Boudia, Tewfik El Madani, Laadi Flici, Bachir Hadj Ali, Nadia Guendouz,... et à ceux auxquels j'ai pu être quelque peu utile aussi. L'oeuvre de Yasmina Khadra, ainsi que l'oeuvre de tous nos écrivains d'hier, d'aujourd'hui et de demain, doivent être des oeuvres essentielles à l'éducation et à l'instruction de nos jeunes. Respectant la tradition populaire de politesse recommandée par nos vénérables anciens, en ce cinquantenaire de l'indépendance de notre pays, je pose, en marque d'hommage, un baiser sur le front de tous nos savants qui ont eu la passion de l'Algérie éternelle.