Des parents du père Christophe Lebreton, un des moines assassinés, et un responsable de l'ordre cistercien veulent la vérité. Près de six ans après leur assassinat, le souvenir des sept moines du monastère de Tibhirine (proche de Médéa à 80 km au sud d'Alger) refait surface à Paris. Cette fois, huit membres de la famille du père Christophe Lebreton, une des victimes, et le père Armand Veilleuix de l'ordre cistercien ont déposé hier une plainte contre X pour «assassinat», «séquestration» et «enlèvement» auprès du doyen des juges d'instruction de Paris. Les plaignants se sont constitués partie civile afin d'obtenir l'ouverture d'une enquête judiciaire. Interrogé dans Le Monde, l'avocat des plaignants, Me Patrick Baudouin, ancien président de la Fédération internationale des droits de l'homme (Fidh), espère que «cette fois la justice française témoignera de sa volonté d'aboutir». Me Patrick Baudoin s'attend à ce que sa tâche se révèle difficile « sinon, on aurait déjà eu une instruction depuis». «La constitution de partie civile ne peut mettre en question la recevabilité de la plainte. Un juge d'instruction doit être désigné. C'est à lui de dire comment il entend mener son enquête», note l'avocat qui n'exclut pas que le tribunal déclare les faits prescrits ou qu'il se déclare incompétent. C'est la seule parade que l'on peut opposer à notre demande. Beaucoup d'encre a coulé et de vives polémiques ont éclaté autour des circonstances douteuses dans lesquelles ont été enlevés et exécutés ces religieux admirés et acceptés par la population locale. Mais aucune action judiciaire n'a été ouverte pour éclaircir les mystères. Les révélations d'un ancien membre des services secrets algériens ont relancé les interrogations. En effet, le 23 décembre 2002, le journal Libération avait rapporté la «confession» d'Abdelkader Tigha, ancien du Département du renseignement et de sécurité (DRS), l'ex-sécurité militaire algérienne, qui affirmait que l'enlèvement des sept moines dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 avait été fomenté par ses anciens responsables et non par le Groupe islamique armé (GIA) de Djamel Zitouni. Les moines ont été exécutés deux mois plus tard. Tigha, ancien chef de brigade au centre territorial de recherche et d'investigation (Ctri) de Blida de 1993 à 1997, affirme avoir été le «témoin direct» de l'opération destinée à «intoxiquer l'opinion internationale et en particulier la France». Selon lui, les moines ont été remis à Djamel Zitouni, au lieudit Tala Acha. Les rivalités entre les gruopes terroristes auraient torpillé le plan. Hocine Besiou, dit Abou Mosaâb, un des responsables de la zone Blida-Bougara-Sidi Moussa-Baraki, aurait réussi à soutirer les moines à Djamel Zitouni avant de les exécuter. Les têtes des moines sont découvertes à la sortie de Médéa. Zitouni sera abattu par l'Armée islamique du salut (AIS), alors qu'il aurait été envoyé récupérer les otages. Sa mort ne sera rendue publique qu'en juillet. Abdelkader Tigha est actuellement détenu dans le centre de détention de l'immigration de Bangkok (Thaïlande). Selon lui, l'essentiel de son activité consistait à «superviser l'infiltration des groupes présumés terroristes par des agents ‘'retournés'' par son service». Toujours selon les propos confiés à Libération «à travers le grillage de sa cellule», c'est suite à un rapport qui avait déplu à ses supérieurs sur la disparition de deux professeurs proches des GIA que Tigha a décidé de quitter le pays. Il aurait été suspecté de sympathie avec les islamistes. Son périple devait le mener à Bangkok sur le conseil d'agents de renseignement français qui lui avaient laissé espérer un passage vers la France. «J'ai été trahi par la France», clame Tigha. Suite aux déclarations d'Abdelkader Tigha, l'ancien juge antiterroriste Alain Marsaud, actuellement député UMP (parti chiraquien), avait demandé au ministre de la Justice, Dominique Perben, l'ouverture d'une information judiciaire. «La moindre des choses serait d'aller entendre Abdelkader Tigha» dans sa prison, déclarait Alain Marsaud à Libération en décembre 2002. Sa demande est restée sans suite. L'avocat des plaignants souhaite que le juge revienne sur les circonstances de l'époque et entende les responsables français et algériens qui étaient en charge des affaires au niveau gouvernemental ou dans l'armée et les services secrets, l'ambassadeur de France à Alger et les agents de l'ambassade, les officiers algériens en exil...et le célèbre émissaire français Jean-Charles Marchiani, ancien agent de la Direction de la défense du territoire (DST), un ami de l'ancien ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua. M.Marchiani, actuellement député européen, a été cité dans différentes affaires de trafic d'armes et d'opérations suspectes. La justice française ne semble pas encore décidée à se consacrer au personnage. La Fidh et la Ligue des droits de l'homme et du citoyen (LDH) soutiennent cette plainte. De notre Bureau a Paris