L'Eglise catholique d'Algérie commémorera dans quelques jours un triste anniversaire. Il y a dix ans, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines cisterciens du monastère Notre Dame de l'Atlas, à Tibhirine, près de Médéa, ont été enlevés par un groupe d'une vingtaine de terroristes, affilié au Groupe islamique armée (GIA) de Djamel Zitouni. Au-delà de cette tragique nuit, plus personne ne reverra les frères Luc, Célestin, Michel, Bruno, Christophe, Paul et Christian de Chergé, le prieur du monastère, vivants. Dès le lendemain de l'enlèvement, la Gendarmerie nationale est alertée par le père Deckers qui dirigeait à ce moment-là, à Tibhirine, un Ribat Es-Salam, une retraite spirituelle avec une douzaine de religieux, et dont les terroristes n'avaient pas connaissance. L'annonce du kidnapping tombe comme un couperet. Les moines vivaient en parfaite harmonie avec la population locale. À partir du 1er décembre 1993, date à laquelle le GIA a menacé de mort tous les étrangers vivant en Algérie, leur présence était même “tolérée” par les groupes terroristes de la région. Le 24 décembre 1993, le monastère reçoit, en effet, la première visite d'un groupe terroriste. Sayah Attiya, adjoint de l'“émir” national du GIA de l'époque, Djaâfar El-Afghani et “émir” de katibat El-Khadra accompagné de Ali Benhadjar, dirigeant du GIA pour la région de Médéa, et “émir” de la Ligue islamique pour la da'wa et le djihad, donnera “l'amman” aux moines. En clair, Sayah Attiya les autorisait à demeurer au monastère sous sa protection. Après cette première visite, les moines ont choisi de rester à Tibhirine après avoir voté à bulletins secrets. Ce vote secret s'est renouvelé après chaque assassinat de religieux jusqu'à leur enlèvement. Quand en 1996, Djamel Zitouni demande à Ali Benhadjar d'enlever les moines de Tibhirine, le chef régional du GIA désavoue son “émir” national. Il refusera d'exécuter l'ordre reçu au nom du respect de “l'amman” octroyé aux moines. Ali Benhadjar et les groupes terroristes sous ses ordres entreront à partir de là en dissidence avec le GIA “dévoyé”. À travers les différents témoignages recueillis depuis cette tragédie, l'on sait aujourd'hui que Djamel Zitouni a dû faire appel à un groupe étranger à la région pour organiser et exécuter son macabre projet. Pendant des semaines, les forces de sécurité essayeront de retrouver la trace du groupe terroriste et des sept moines trappistes. En vain. Les autorités algériennes et françaises n'ont aucune idée du sort réservé aux moines par les terroristes. Fin avril, l'enlèvement est revendiqué. L'ambassade de France à Alger reçoit un émissaire du GIA. L'émissaire, qui se présente sous le pseudonyme de Abdallah, est reçu par un responsable de l'ambassade. Il est porteur du premier communiqué du GIA relatif à l'enlèvement des moines et posant les conditions de leur libération, signé par Djamel Zitouni ainsi que d'une cassette audio dans laquelle sont enregistrées les voix des moines qui récitent le journal du soir de la radio marocaine Médi 1. En contrepartie de la libération des moines, Djamel Zitouni ne revendique ni plus ni moins que la libération de Abdelhak Layada, membre fondateur du GIA condamné en 1994 par la Cour spéciale d'Alger à la peine capitale pour, entre autres, atteinte à la sûreté de l'Etat. Une liste de contacts téléphoniques ainsi qu'une lettre de l'ambassade de France destinée à Djamel Zitouni sont remises à Abdallah par la DGSE, les services secrets français, qui le dépose à Alger-Centre dans la voiture blindée de l'ambassade. Il n'y aura aucune suite à cette tentative de tractations entre les services secrets français et le GIA. Les forces de sécurité continuent de rechercher les moines dans toute la région sans pour autant réussir à les localiser. Djamel Zitouni annonce, le 9 mai 1996, à travers un communiqué publié à Londres, l'exécution des sept moines de Tibhirine. Dix jours plus tard, les têtes des moines trappistes sont déposées à l'entrée de la ville de Médéa. Depuis le 4 juin 1996, les moines reposent au monastère de Tibhirine. Un endroit qu'ils ne voulaient pas quitter “pour l'amour de Dieu, du Christ, et… de l'Algérie”. Dix ans après, Abdelhak Layada est libéré à la faveur des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Tibhirine ne sera malheureusement plus jamais pareil. S. S.