La noblesse de l'ancien moudjahid serait-elle désormais de contribuer à l'écriture de l'Histoire de la Révolution? Pour beaucoup ce n'est pas une prétention, mais un devoir, - car, coûte que coûte, l'épreuve de l'écriture est incontournable, d'autant qu'il est encore aisé de trouver une bonne plume si, toutefois, on ne saurait pas «faire un livre» soi-même. Pour le lecteur curieux - moins peut-être pour le chercheur professionnel -, la méthode, la forme, et le toutim de l'édition importent peu. Il suffirait que la communication (orale ou écrite) soit entière, sincère et juste, c'est-à-dire généreuse. Après quoi, au lecteur d'apprécier et même de juger le travail accompli honnêtement, ainsi que le souhaite Mohammed Ghafir dit Moh Clichy, à propos de la «nouvelle édition enrichie d'un additif» de son livre Cinquantenaire du 17 octobre 1961 à Paris, droit d'évocation et de souvenance (*), - cette «oeuvre de mémoire, estimait-il lors de la première édition en 2011, qui intervient en commémoration exceptionnelle et combien solennelle du cinquantenaire du 17 octobre 1961.» Et nous sommes aussi précisément en pleine célébration du Cinquantenaire de l'Indépendance (1962-2012), en ce mercredi 17 octobre 2012. Mohammed Ghafir est un auteur peu commun dans la mesure où il ne fait pas oeuvre d'écrivain ou d'historien, mais de militant épris de justice et de vérité et surtout d'acteur reconnu pendant la «Bataille de Paris». Puisque, âgé de vingt-sept ans, il a été, déclare-t-il, «Chef de la Super zone de la Wilaya 1 (Paris-Sud) de la Fédération de France et de ce fait, un des organisateurs des manifestations du 17 octobre 1961.» Sachons que Mohammed Ghafir est né le 19 janvier 1934 à Guenzet (W. de Sétif). Il s'est éveillé au nationalisme grâce aux SMA (Scouts Musulmans Algériens). Ayant obtenu le Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires, en 1951, il suit à Alger une formation professionnelle d'ajusteur. À 21 ans, il est déclaré insoumis au Service Militaire. Il est arrêté et incorporé d'office à la caserne Bizot de Blida, d'où il s'évade en septembre 1955. Il quitte le pays pour la France et, à Clichy (Paris), il intègre le FLN «d'où son sobriquet de Moh Clichy,» En 1958, il est arrêté par la DST pour ses activités de responsable de Chef de la Région Nord de Paris. Libéré du camp de Larzac, en février 1961, il reprend ses activités au sein de la Fédération FLN de France et participe résolument aux manifestations du 17 octobre 1961 de Paris qui s'inscrit dans les grandes tragédies dont ont été victimes les Algériens en France. Dans son ouvrage Mohammed Ghafir dit Moh Clichy raconte dans le détail l'horreur des événements du 17 octobre 1961 qui ont endeuillé les familles algériennes émigrées et celles d'Algérie et terni l'image de la France, celle que l'on appelle «la Patrie des Droits de l'homme et du Citoyen» en raison de la vocation universelle de sa déclaration adoptée le 26 août 1789. Formé spirituellement par la Révolution algérienne et forgé au feu des actions d'un militantisme éclairé et audacieux, «Moh Clichy», une fois revenu au pays à l'indépendance, s'est consacré à servir l'Algérie des Algériens engagés volontaires pour sa reconstruction. Il a été, tour à tour, fonctionnaire et cadre dirigeant au niveau d'Entreprises Publiques. En 1988, il part à la retraite pour d'autres nobles occupations: à la fondation «Slimane Amirat», à l'Association des Ith Yaala et surtout à la mise à l'endroit de ce qui a été escamoté dans les récits écrits par des auteurs «Algérie française» au sujet des manifestations des émigrés algériens du 17 octobre 1961 à Paris et en Région parisienne. En guise de témoignage sur les innocentes victimes de la répression policière française, il est une plaque commémorative à Bagneux portant cette inscription: «Le 17 octobre 1961, à Paris, une manifestation pacifique d'Algériens pour l'indépendance de leur pays était réprimée dans le sang. À leur mémoire, le 31 octobre 1961, square Montesquieu à Bagneux, une réunion du FLN Sud Parisien, destinée à faire le bilan des massacres du 17 octobre, était brutalement interrompue par la police.» Cette répression du 17 octobre 1961, à Paris - une de plus dans la suite de milliers d'autres et préfigurant des milliers d'autres - sonne le glas de la colonisation de l'Algérie. La décolonisation est en marche, «la solution politique est en train de s'imposer», dit-on, partout en Algérie et en France. Les négociations entre Français et Algériens reprennent en Suisse et se poursuivent jusqu'aux Accords d'Evian de mars 1962 Les faits historiques le confirmeront le 5 juillet 1962, date de la Victoire du peuple algérien sur le colonialisme français... «Moh Clichy» rapporte la genèse des massacres inspirés par Maurice Papon, nommé depuis peu Préfet de Police de Paris et ancien Préfet de Constantine, ayant mis «en place un système de répression des Algériens insurgés, basé sur la torture systématique et les exécutions sommaires». Et c'est en quelque sorte sous l'intitulé vertueux de cette idée «Droit d'évocation et de souvenance» et sous cette juste promesse «Paris se souviendra, la Seine témoignera» que l'essai de Mohammed Ghafir dit Moh Clichy se développe longuement, largement, profondément comme un fleuve puissant, purificateur, salvateur. Le livre comprend six parties qui se déroulent dans une dramatisation fortement réglée pour maintenir l'attention du lecteur, nouveau témoin de la tragédie. Notons un «Justificatif» de l'auteur» et deux importantes préfaces, l'une du professeur Jean-Luc Einaudi, l'autre du professeur Boualem Aïdoun, ainsi que le soutien et les encouragements de nombreuses personnalités, des proches dont «le frère Moudjahid Professeur Pierre Chaulet», récemment décédé, «les frères Abdelkrim Harchaoui, Nadjib Atmani, Bachir Tahi, et tant d'autres.» Nous sommes alors dans l'histoire de l'émigration et de la guerre d'Algérie et tout particulièrement nous vivons la «chronologie d'un crime contre l'humanité perpétré le 17 octobre 1961 à Paris», la manifestation des familles algériennes (hommes, femmes et enfants) qui ont répondu «en masse au mot d'ordre du FLN de descendre dans la rue, le 17 octobre 1961, à Paris», puis la répression policière, puis «Les victimes» et «Le Martyre de Fatima Bedar, une collégienne, âgée de 15 ans». Ensuite, le rappel de la mémorable réunion du 31 octobre 1961 à Bagneux, les témoignages et les réactions d'hommes politiques et syndicalistes et «L'itinéraire de Maurice Papon de 1942 à 1962» donnent un éclairage brûlant et définitif des idées indéniablement racistes des dirigeants de la colonisation française en Algérie. Je dois croire, par devoir, que l'essai Cinquantenaire du 17 octobre 1961, droit d'évocation et de souvenance de Mohammed Ghafir dit Moh Clichy suscite l'intérêt à divers titres parce que l'événement a existé tel qu'il le relate - à Paris, des traces subsistent et se trouvent partout des signes lisibles et des témoignages solidaires, émouvants et courageux ailleurs comme à Bagneux (Hauts-de-Seine, France) - et d'autant qu'il le précise avec l'humilité, le sérieux complet et l'héroïsme du patriote algérien. Au reste, ce livre est un document de premier ordre pour concourir à l'écriture des hauts faits de l'Histoire de la Révolution. Le voile est levé en France et en Algérie. Incontestablement, la Fédération de France, réunissant tous les Algériens résidant sur le sol français pendant la guerre d'Algérie, a mené un combat idéologique majeur qui mérite spécialement une reconnaissance nationale chez nous et exige une repentance absolue de la France, patrie des droits de l'homme et du citoyen, envers les victimes innocentes et leurs familles dont le deuil de leurs proches martyrs n'est pas encore fait. (*) CINQUANTENAIRE DU 17 OCTOBRE 1961 À PARIS Droit d'évocation et de souvenance de Mohammed Ghafir dit Moh Clichy Editions Encyclopedia, Alger, 2012, 408 pages.