Le comédien et sa nouvelle pièce «Baba la France» Après Ma mère l'Algérie, et Alger Terminal II déjà présentée au TRB il y a 18 mois, notre comédien conteur est venu à Béjaïa présenter son nouveau spectacle qui allie le politique au poétique, le passé au présent dans un texte des plus puissants enveloppé de tendresse. Dans Baba la France il incarne l'âme de son père, mais aussi celle de lui-même enfant racontant les déboires et mal-vie ainsi que l'arrivé de sa famille à Marseille en 1948. Un rôle très physique qu'il aura à décliner sur scène et gagnera toute l'attention du public. On pouvait dès lors boire les mots de cet artiste goulument tout en se projetant dans un passé fait de guerre, de misère, de souffrance mais d'innocence et d'espoir aussi portés sur les frêles épaules de ce jeune garçon non sans une pointe d'amertume qui quittera jamais plus le père et fera de son enfant ce grand adulte aux yeux rieurs qu'est devenu notre conteur à l'allure d'un sphinx. Un homme qui a le don de la métamorphose sur scène et de la parole avec comme seuls éléments scéniques la lumière pour pénétrer les ombres de nos souvenirs et créer la magie du théâtre. Ne partir de rien pour atteindre le summum de notre être, toucher l'esprit et son pendant, le coeur. Un ravissement a été ce spectacle donné jeudi soir dans la petite salle du TRB dans le cadre du Festival international du théâtre. De la mémoire revisitée et beaucoup d'émotion, sans tomber dans le cliché alarmant et larmoyant mais des mots qui sonnent justes pour une cause noble, celle du jeune garçon qui se confond avec celle d'une communauté algérienne toute entière et partant d'un pays...Bravo l'artiste! L'Expression: pourriez-vous nous parler de ce spectacle qui a l'air très autobiographique? Rachid Akbal: C'est plutôt de l'autofiction écrite avec Caroline Gérard. Il m'est venu l'idée car j'ai écrit déjà un premier spectacle qui s'appelle Ma mère l'Algérie qui est beaucoup plus un conte populaire. J'y raconte pour les enfants de l'immigration comment on se construit un imaginaire à partir des histoires de nos mères. Ici c'est donc quelqu'un qui revient pour la première fois au pays, qui découvre la montagne, le village et se souvient de l'histoire, il rentre dedans, il devient le héros de l'histoire, alors après cette pièce qui a bien marché, je me suis dit maintenant il faut que je raconte l'histoire des pères et du mien auquel je rends hommage. J'ai voulu raconter la guerre d'indépendance mais vue en France. Il n ya pas que la guerre, il y a tout le parcours de ces pères, comment ils sont obligés de quitter le pays pour s'exiler, malheureusement pour beaucoup d'entre eux. Cela se passe aussi en octobre 1961, j'ai essayé de rattacher ça avec la tragédie, les meurtres de cette date sanglante. Après cela devient de l'autofiction car mon père est toujours vivant, c'est mon oncle qui est mort pendant la guerre. Ce sont réellement des bribes de vos propres souvenirs quand même? Oui! on a grandi à 15. Il y a tous ceux qui sont venus... mon père s'occupait de tout le monde. Il était aussi commerçant, on lui a tout volé, ça a été la faillite. Pourquoi la technique de la machine en arrière? Parce que l'écriture n'est pas linéaire. C'est une écriture éclatée, cyclique comme on dit, plutôt maghrébine et orientale. C'est-à-dire en spirale. J'écris comme ca car à chaque fois le passé revient, s'inscrit au présent. Il ya du flash back mais en même temps, le futur est avant le présent et même le passé. La poésie, la beauté des mots est présente indiscutablement Oui, je voulais faire une distinction de deux langues parce qu'en France je déplore souvent une chose: quand on parle de l'immigration, on joue les beurs avec du français cassé, du mauvais français, moi je voulais au contraire prendre une vraie langue. En France, moi je joue dans les quartiers dits populaires et sensibles face à des enfants de l'immigration qui me disent: monsieur j'adore Debbouze! Mais alors là c'est beau votre texte!» Donc, voila on peut raconter des choses politiques sous une forme poétique. Vous vous réappropriez votre propre langue, le kabyle, puisque vous êtes originaire de Tizi Ouzou. On vous entend parler dans la langue maternelle ici à Béjaïa ce qui est un signe symbolique peut- être fort pour vous? Oui, tout à fait, c'était important pour moi d'introduire la, la langue mais je fais juste un peu l'enfant mais, si c'est un immigré, il parlera en français avec son père. Par contre, les vieux dans le cas là ça m'importait de changer de langue car eux ils parlent plus simplement. C'est une autre écriture parce qu'ils parlent eux! Même si c'est encore écrit, je voulais que cela soit plus une discussion avec eux, quelque chose de plus ramassé dans le temps. C'est-à-dire tout ce qui ce prédestine avant, les sept ans, de la naissance de l'enfant de 1954 à 1961. La narration est tellement forte qu'elle habille l'espace et crée l'ambiance du conte, vous racontez tout et laissez place à l'imaginaire avec force détails descriptifs...d'où vous vient justement ce don de la narration? Moi à la base je suis comédien. Et là je vais bientôt créer un spectacle le mois prochain ici, sur un texte d'Arezki Mellal que je mettrai en scène. Aussi je travaille avec d'autres comédiens. Le prochain spectacle s'appellera Samedi la révolution. Je suis comédien et en fin de compte je suis né avec les histoires de ma mère, mon père est aussi un bon conteur. Chose que j'ai emmagasiné en moi et puis un jour, ça remonte à la surface naturellement. J'ai envie de raconter et je fais les deux. En général, en France on nous met dans des cases, alors que moi c'est très accepté. Les gens savent que je passe du conte populaire au théâtre. Ce sont des choses qui sont là naturellement. D'où la langue qui revient maintenant parce que moi, jusqu'à l'âge de 5 ans, je ne parlais pas français. C'est quand je suis rentré à l'école que je me suis mis à parler le français. Baba la France sera t-il présenté à Alger? Je le voudrais bien. Si c'est à l'IFA (Institut français d'Alger) ce serait très bien! Ce serait l'endroit idéal. Ce spectacle a bien marché en France vous savez. Il a été même en Tchéquie notamment. Un mot sur la pièce avec Arezki Mellal? ça va être une production qui vient de France mais suite à une lettre du TRB. Le premier jet des préparatifs et d'écriture va démarrer de Béjaïa d'abord. C'est une pièce qui va s'articuler autour de ce qu'ils ont appelé les révoltes et les printemps mais cela ne sera pas raconté de façon manichéenne mais on évoquera aussi beaucoup de choses telles les manipulations ou des attentes soi-disant de l'Occident où l'on passe à côté. On évoquera aussi la soif de démocratie de cette jeunesse qui rêve et qui a beaucoup de choses à dire.