Depuis une dizaine d'années, on assiste à une prolifération des réseaux de faussaires. Le phénomène a pris, depuis l'année 2000, des dimensions ébouriffantes. Les faux billets circulent à l'Est et à l'Ouest, et il faut être un connaisseur avisé pour les distinguer. En un peu plus de deux ans, de janvier 1999 à juin 2001, près de 500 affaires relatives à la fausse monnaie (pièces et billets) furent traitées par les services de sécurité spécialisés (brigade économique et scientifique de la gendarmerie, services de police...) et les tribunaux. Une vingtaine de femmes a été impliquée dans ces affaires ainsi que près de 300 hommes, jeunes, vieux et adolescents. En termes clairs, la fausse monnaie intéresse toute sorte de catégories socioprofessionnelles des deux sexes. Souvent, les contrefacteurs ne sont pas de vulgaires trafiquants de petite facture, mais de véritables génies de la fraude, maniant aussi bien la finance et le marketing que l'informatique et les composants chimiques. Pour faire des billets de 200, 500 ou 1.000 DA, on n'hésite plus à recourir aux gros moyens. Les réseaux les plus performants ne falsifient plus en photocopiant, mais en «fabriquant» carrément de la monnaie en billets, plus vraie que nature. On se souvient des trafiquants algériens de mercure rouge, arrêtés en Tunisie. Tout le monde pensait qu'il s'agissait - encore - de quelque composant entrant dans la fabrication d'explosifs et destiné aux groupes armés. Mais c'était plutôt un composant chimique important et très rare - fabriqué uniquement à Azzaba - essentiel pour la production des billets de banque. Près de 5 kg ont été saisis dans la capitale tunisienne et les ressortissants algériens écroués. Le mercure rouge est une matière fissible, particulièrement polluante et hautement cancérigène. Il est, en outre, soumis à des mesures draconiennes de surveillance. Entrant dans la fabrication et l'impression des faux billets, il reste un produit essentiel pour les réseaux mafieux, qui n'hésitent pas à se connecter à des circuits tunisiens et israéliens très performants et très actifs dans le pourtour méditerranéen. Une grande partie de cet argent est écoulée à l'intérieur du pays, dans les wilayas à vocation agropastorale, tels M'sila, Tiaret, Djelfa, Tissemsilt, etc., pour la raison suivante : l'argent qui tourne entre les mains des maquignons de ces régions ne permet aucun contrôle, aucune vérification de la qualité du papier, et le tour est vite joué. Les connaisseurs du phénomène disent que l'Ouest algérien est l'endroit où circule la fausse monnaie «en continu». Les réseaux, qui s'y trouvent, sont plus nombreux que partout ailleurs dans le pays. La proximité des «viviers» des trafiquants de drogue. permet cette concentration. Des villes comme Tiaret, Aïn Defla, Chlef, Relizane, Saïda, Sidi Bel Abbes. alimentent les réseaux par la tentation d'un argent à portée de main dans des milieux où le chômage, l'absence de perspectives et les miroitements de la vie invitent à tous les excès. A Kouba, il y a quelques jours, un groupe de jeunes faussaires a été démantelé. Mais pas tous. Les principaux instigateurs restent en liberté. Les autres, écroués par la grâce de la loi de l'omerta, qui gère le groupe, ont pris sur eux «tout le paquet». Cela permet aussi de bénéficier d'un argent frais à leur sortie de prison. L'un de ces jeunes inculpés, qui a été écroué puis libéré, a dit qu'il ne fallait pas être un génie en informatique pour fabriquer des faux billets. Juste un scanner, une imprimante, un micro-ordinateur, modèle récent, et du papier de bonne qualité. C'est-à-dire, un «investissement» de 25 millions au plus. Puis, l'essentiel: un bon petit informaticien. Le groupe a fait un premier tirage de 150 millions avant de se faire coincer bêtement. Un de ses membres a été tellement dépensier qu'il a éveillé les soupçons du caissier dans une superette. Pour endiguer ce fléau de façon rapide et permettre un contrôle systématique face aux billets douteux, les services de la police scientifique et de la gendarmerie ont mis au jour un manuel facile à consulter, vulgarisé et exhaustif, aux fins de déceler les faux composants sur un vrai billet. Cet ouvrage, d'une grande utilité, sera l'outil de performance et de dissuasion face à un mal qui devient tentaculaire. Encore très proche de la fausse monnaie: la falsification de prestations médicales servant au remboursement au niveau des Caisses nationales d'assurance et de sécurité (Cnas). Là aussi, de véritables réseaux sont mis en place. Fausses vignettes, faux certificats de maladie, fausses ordonnances, mais vrais remboursements en monnaie sonnante et trébuchante. Résultat : la Sécurité sociale rembourse, chaque année, près de 10 milliards à des «malades imaginaires» et à des prestations fantômes. Plusieurs imprimeries, chargées de fabriquer des vignettes pour des officines pharmaceutiques, étatiques et privées, en ont, en fait, produit plus que de raison. Le «surplus» sera revendu par les fonctionnaires imprimeurs - souvent à l'insu des patrons - à des tiers qui réintroduiront ces vignettes dans le circuit des remboursements. Médecins, pharmaciens, agents Cnas et correspondants sociaux sont souvent connectés au même réseau de cette Cosa Nostra. Le terrorisme bat de l'aile. Les réseaux mafieux sont le péril de demain. Déjà, aujourd'hui, sous nos yeux se met en place la stratégie.