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Une nuit avec les trafiquants d'alcool
ILS ECUMENT LES QUARTIERS DE LA CAPITALE
Publié dans L'Expression le 12 - 11 - 2012

Les consommateurs sont servis à n'importe quelle heure
Parce que les bars ferment trop tôt ou que certains n'aiment pas les fréquenter, la vente de l'alcool au noir devient le nouveau business des jeunes.
Minuit, dans un quartier résidentiel de la ville de Rouiba, tout est calme. À bord d'un véhicule, trois jeunes discutent tranquillement. Soudain le moteur d'une moto vrombit. Un jeune, la vingtaine, s'arrête à proximité du véhicule. «Kech ma s'hakitou? (Vous avez besoin de quelque chose?)», lance-t-il en direction des occupants de la voiture. Les voyant surpris, il s'excuse. «Je croyais que vous étiez des clients», leur dit-il. Des clients de quoi? s'interrogent les trois jeunes. Drogue? «Non, jamais! Vous voulez m'envoyer en taule ou quoi? Moi je vends de l'alcool», leur explique-t-il. «Alors si vous êtes intéressés, vous vous garez dans le quartier et vous attendez que je vienne vous voir», ajoute-t-il sans oublier de leur donner son numéro de téléphone pour passer les commandes. «Mais sachez que pour les alcools forts et les apéritifs, il faut commander à l'avance. Seule la bière est disponible en stock», les avertit-il. Le business de ce jeune semble donc être bien organisé. Et à voir la moto qu'il enfourche cela a tout l'air de lui rapporter gros! Pour en savoir plus, on revient le lendemain à la même heure avec les trois clients potentiels.
Reconnaissant la voiture, le jeune à la moto de course se dirige vers ses occupants. «Alors, kech ma tadou l'youm? (Vous allez prendre quelque chose aujourd'hui?», les interroge-t-il. «Oui, quelques bières», répondent-t-ils. «Combien vous voulez et quelle marque?», leur redemande-t-il. Il explique: «Six doubles canettes (il cite la marque) vous reviendront à 1500 dinars.» Il les laisse pour aller chercher les commandes (cela fait que la cannette est vendue à 250 dinars, alors que son prix dans les débits de boissons est de 150 dinars). Cinq minutes après, l'homme à la moto revient. Il sort de son coffre un sachet noir contenant les canettes de bière couvertes de papier journal. «Sincèrement, ça me rapporte beaucoup. Voyez juste ma moto qui m'a coûté plus de 80 millions de centimes. C'est grâce à mon trafic que je me la suis payée», nous avoue-t-il tout en indiquant que la concurrence dans sa petite ville est très rude. «On est plusieurs jeunes à baigner dans ce genre de trafic et les clients ne sont pas nombreux. C'est pour cela que je ne prends que 100 dinars par canette, or dans d'autres endroits la marge est beaucoup plus grande», rapporte-t-il. Il enfourche sa moto en direction d'autres clients. La nuit est encore longue. Les voitures se garent, les uns après les autres à attendre leur «barman» dans cette petite ville tranquille que personne ne soupçonne d'abriter un tel trafic!
Après Rouiba, on décide de prendre la direction du centre d'Alger. Un «fixeur» avec qui on a pris contact fait office de guide. Il nous emmène au Telemly pour nous présenter un vendeur d'alcool au noir. Mais contrairement à Rouiba, les jeunes ne s'adonnent pas à ce trafic en solo. Des bandes sont très bien organisées et déployées dans toute la capitale! Alors on décide de faire nos emplettes... Appréciez plutôt! On va dans la cave d'un immeuble. Il fait sombre! C'est silencieux! Après quelques pas dans la cave de cet immeuble, on va à la rencontre de nos vendeurs d'alcool. Toutes les marques y sont disponibles chez ces jeunes trafiquants, qui néanmoins sont très sympathiques. «Alors vous prenez quoi?», nous interpellent-ils. «Bières ou alcool fort?» On nous donne les prix de leurs marchandises. Bouzaréah, Rostomia, El Biar, Hussein Dey, Baraki, Bab Ezzouar, Draria... Les adresses pleuvent, chaque vendeur nous donne les contacts d'un de ses amis dans une ville ou un quartier du centre du pays. Bref, ce trafic et présent dans pratiquement tous les quartiers et villes de la capitale. On a rendu visite à certaines de ces adresses et à chaque fois c'est la même chose.
Ces gens qui n'ont rien de délinquants vendent de l'alcool au noir pour se faire du «fric». Les marges varient de cinquante pour cent pour aller au double même au triple. Les bénéfices peuvent aller de 70 sur une canette à 400 dinars sur une double canette de bière. Tous dépend de l'endroit et de la demande. Ce trafic répond incontestablement à la politique du marché ainsi les prix varient entre l'offre et la demande. Un argent fou est donc engendré par ce trafic et cela pour des risques minimes.
Les quartiers huppés de la capitale n'échappent pas à ce phénomène. Bien au contraire! Dans ces quartiers la vente est encore plus importante et se fait à la lumière du jour.
Notre «fixeur», nous présente un agent de sécurité qui travaille dans une résidence haut standing. Jusque-là, rien d'anormal! Sauf que cet agent a plus d'un tour dans son sac et cela au sens propre du terme. Flairant la bonne affaire et voyant que certains résidents du quartier étaient adeptes de la bouteille. Il se mit à leur proposer de l'alcool au noir. Le bouche à oreille a fait son effet, il devient la star incontestée du quartier. Les consommateurs sont servis à n'importe quelle heure. «Pour les prix, c'est à la tête du client, mais je reste raisonnable et puis mes clients sont peu regardants sur la dépense», souligne-t-il en précisant qu'il avait même droit à de très beaux cadeaux. «Un de mes clients ma même offerte un téléviseur LCD», réplique-t-il avec un clin d'oeil. Pour ce qui est de l'âge de ses clients, il affirme que la majorité sont des jeunes de 25 à 40 ans qui travaillent mais qui n'aiment pas fréquenter les bars. «Il y a aussi des jeunes filles qui boivent et ne peuvent pas acheter leur boisson pour des raisons sociales évidentes», témoigne-t-il, lui qui semble être le véritable chouchou de la résidence puisqu'au moment où il nous parle, un des résidents était venu lui «taper» la bise et lui apportait de quoi dîner. «Vous voyez, ils m'aiment tous, je leur facilite la vie», dit-il avec humour.
Voilà donc un trafic qui semble s'être bien développé dans le pays à cause du peu de risque qu'il fait courir à ceux qui le pratiquent. Toutefois, même si le risque est minime pour les trafiquants, cela reste un danger pour les consommateurs. Cette vente n'est pas contrôlée par l'Etat et de ce fait échappe aux contrôles de qualité et d'hygiène. Dans la capitale, ces dangers sont minimes vu que l'alcool qui est vendu provient majoritairement des dépôts. «Ils font office d'intermédiaires», affirme Alilou, le propriétaire d'un débit de boissons alcoolisées. Ce dernier explique que ces jeunes trafiquantes font la queue dès les premières heures de la matinée devant son magasin pour acheter leurs marchandises. «Ils achètent des quantités considérables qu'ils revendent en soirée. On les connaît et on leur prépare même à l'avance leurs marchandises pour qu'ils ne s'éternisent pas dans notre magasin», confie Alilou. Cependant, pour lui le danger réside dans la vente d'alcool de contrebande qui «est dans la majorité des cas, frelaté». «Il y a même certains qui fabriquent de l'alcool traditionnel», poursuit-il en avertissant des dangers de ce genre de produit sur la santé des consommateurs. «À Tamanrasset, des Maliens vendent le «Tchipalo». C'est une bière traditionnelle venue du Mali», témoigne-t-il en indiquant que celle-ci commençait à faire son apparition dans le nord. «Mais personne ne connaît sa composition et ses dangers pour la santé», déplore-t-il.
Dans la capitale, ce trafic rapporte gros. Rouiba qui est le point de départ de notre enquête n'est donc pas une exception. Ce trafic est devenu un phénomène qui s'est répandu dans les quatre coins de l'Algérie. Des témoignages recueillis tout au long de l'enquête nous parlent du même phénomène dans les autres wilayas du pays. En effet, depuis que l'Etat a fait passer une circulaire obligeant la fermeture des débits de boissons alcoolisées à 19h et des bars à 22 h, ainsi que les nombreuses fermetures définitives dont il font l'objet, des jeunes ont flairé la bonne affaire en optant pour ce trafic. Beaucoup moins risquée que la vente de drogue et aussi rentable, la vente d'alcool sous le mentaux est un trafic qui nous fait rappeler les USA des années 1920.
À cette époque, l'alcool a été prohibé dans tous les Etats-Unis, ce qui a fait que la production et la vente d'alcool étaient tombées dans les mains de la mafia. Parmi eux, le gangster le plus célèbre du monde, Al capone.
Celui qui fut le parrain de la mafia de Chicago de 1925 à 1932 est le personnage emblématique de l'essor du crime organisé dans les Etats-Unis de la prohibition, il a contribué à donner à Chicago, durant les années 1920 et 1930, sa triste réputation de ville sans foi ni loi. Il a construit son empire grâce à la vente et la fabrication illégales d'alcool. L'Algérie de 2012 ressemblerait-elle aux Etats-Unis d'Al Capone?


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