En stratège bien conseillé, Mohammed VI exhibe l'ennemi extérieur pour occuper les esprits Il y a près de soixante ans, le nationalisme arabe a balayé sur son passage la monarchie en Egypte, en Irak, au Yémen et en Libye. Cette vague est-elle de retour? Le réchauffement des relations entre l'Algérie et le Maroc annoncé en grande pompe, il y a quelques mois, a fait long feu. La guerre froide repart entre les deux pays et la nouvelle période de froid pourrait durer longtemps selon le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Amar Bellani. A l'origine de cette nouvelle escalade, un sujet éculé: l'expulsion d'Algériens du Maroc et de Marocains d'Algérie. Tout a commencé quand le ministre marocain délégué aux Affaires étrangères, a affirmé dans un débat au Parlement que «le Maroc ne ménagera aucun effort pour défendre ses ressortissants expulsés d'Algérie pour leur permettre de récupérer leurs biens et recouvrer leurs droits, dont ils sont privés depuis plus de 35 ans». Cette déclaration aux relents de pure provocation, a fait réagir Alger. «Premièrement, je dois rappeler que durant la même période, des centaines de ressortissants algériens ont été expulsés du Maroc et que leurs biens ont été expropriés sans indemnisations. Par ailleurs, des milliers d'hectares de terres agricoles et des centaines de biens immobiliers appartenant aux ressortissants algériens ont été «nationalisés» sans indemnisation, à la faveur d'un dahir du 2 mars 1973 portant «transfert à l'Etat marocain des immeubles agricoles appartenant aux personnes physiques étrangères ou aux personnes morales», a déclaré Amar Bellani, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, soulignant au passage, que des propriétaires européens ou relevant d'autres nationalités touchés par cette même mesure ont été indemnisés à l'exception des propriétaires algériens lésés. «Deuxièmement, lors des deux réunions de la commission consulaire et sociale qui se sont tenues, respectivement les 25 juin 2003 à Alger et le 21 juin 2004 à Rabat, il avait été convenu d'assainir les contentieux liés aux biens revendiqués de part et d'autre sur la base de la réciprocité. Ces engagements sont restés malheureusement sans suite», a ajouté M.Bellani, notant que la très grande majorité des Marocains qui ont quitté l'Algérie à la fin de l'année 1975 n'était pas constituée de propriétaires de biens personnels en Algérie, mais de locataires de biens appartenant à l'Etat ou à des tiers. «Lors de la visite de travail qu'il avait effectuée au Maroc, l'ancien secrétaire d'Etat chargé de la communauté nationale à l'étranger M.Benattallah, avait demandé officiellement aux autorités marocaines de prendre en charge, de manière sérieuse et responsable, le dossier des biens des Algériens expropriés et qu'à cette date, malheureusement, nous n'avons toujours pas enregistré de réponse à une demande pourtant légitime qui consiste à rétablir dans leurs droits nos ressortissants dont les biens ont été confisqués», a enfin rappelé Amar Bellani. Situons d'abord, le contexte de cette escalade. Elle intervient cinq jours après un discours des plus virulents prononcé par le roi Mohammed VI à l'occasion du 35e anniversaire de l'invasion marocaine du Sahara occidental. La question est de savoir pourquoi Mohammed VI veut-il ouvrir un front avec son voisin algérien au moment où les relations allaient connaître un nouvel essor? La raison est à chercher dans le contexte géopolitique régional et la situation interne du royaume. Le chômage, le malaise social qui sévissent actuellement au plan interne placent le Maroc dans une position très vulnérable pour supporter le choc des changements géopolitiques au niveau régional. Ensuite, avec les manifestations en Jordanie, les prémices d'une nouvelle vague de révoltes qui menacent directement les monarchies arabes, pointent à l'horizon. L'hypothèse est plausible car l'Histoire est un éternel recommencement. Il y a près de soixante ans, la vague du nationalisme arabe a balayé sur son passage la monarchie en Egypte, en Irak, au Yémen et en Libye. Cette vague est-elle de retour? En stratège bien conseillé, Mohammed VI exhibe l'ennemi extérieur pour occuper les esprits, le temps que la bourrasque passe. Cet ennemi s'appelle l'Algérie, le front caché du roi.