Il faut reconnaître au maître incontesté de Tripoli, à défaut de disposer des moyens de sa politique, d'avoir en revanche une vision tactique et une intelligence aiguë de ses intérêts. Et son intérêt urgent, et actuel, est bien sa survie politique d'une part, sa continuité à la tête de la Jamahiriya qu'il administre d'une main de fer depuis 34 ans d'autre part. De fait, en matière de longévité, le colonel libyen bat tous les records de présence à la tête d'un Etat, au moment où la fonction de dictateur se démonétise. Avait-il cependant d'autre choix que le spectaculaire retournement auquel il convia la communauté internationale par son intempestive déclaration de vendredi par laquelle il fait renoncer la Libye à son programme de recherche en armes de destruction massive (ADM). El Gueddafi, qui, après cette annonce, faisait les unes louangeuses des chaînes de télévision et des médias internationaux, a frappé juste, se faisant encenser par George W.Bush, Tony Blair, et même Ariel Sharon, (qui lui tient son arsenal nucléaire bien au chaud). La glorification d'El Gueddafi de la part de ceux-là mêmes qui, depuis dix ans, ont contribué à faire du dirigeant libyen le personnage politique le plus honni dans le monde est tout à la fois curieuse et spécieuse. En effet, voilà un pays, les Etats-Unis, unique superpuissance mondiale qui, en sus, s'engage dans un vaste programme de rénovation et de rajeunissement de son arsenal nucléaire, -nécessitant des centaines de milliards de dollars- qui ne cache pas son soulagement après l'engagement libyen, lorsque le président Bush souligne «l'engagement de Kadhafi (El Gueddafi), s'il est respecté, contribuera à renforcer la sécurité des Etats-Unis». Rien que ça ! Vous vous imaginez le pauvre El Gueddafi, qui n'a terrifié que son peuple en 34 ans de pouvoir, terrorisant avec son pétard «atomique», qui avait encore à naître et à faire ses preuves, le puissant maître du monde Bush Jr?. Certes, plus c'est gros, plus ça passe, mais il y a tout de même des limites lorsque l'on diabolise des pays, arabes et musulmans singulièrement, seulement soupçonnés de songer à s'engager sur la voie de la recherche sur les ADM, quand Israël, seul pays de la région qui détient effectivement un arsenal nucléaire est curieusement exonéré de toute pression internationale et de la curiosité de l'Aiea (Agence internationale de l'Energie atomique, agence de l'ONU). Pour revenir à El Gueddafi, il est patent que son long isolement international, suite de l'affaire Lockerbie, ses échecs répétés à fédérer la «nation arabe » et à prendre le leadership arabe, l'ont quelque peu aigri et décalé par rapport aux réalités politiques et stratégiques régionales. De fait, El Gueddafi a brûlé tous ses vaisseaux et n'aspire plus qu'à perdurer au pouvoir qu'il a soustrait à son peuple en 1969, le frustrant de sa Révolution. Le colonel Maämar El Gueddafi pour faire desserrer son isolement et survivre au pouvoir avait un prix à payer, ce à quoi il consentit, affirmant même que la Libye «sera désormais en tête des pays qui oeuvreront pour que le monde soit débarrassé de toutes les armes de destruction massive». Espérons à tout le moins que cette profession de foi sera mise à profit par le «Guide» libyen pour se consacrer désormais à faire désarmer Israël et à faire détruire son arsenal nucléaire. Il est certain alors qu'il aura la reconnaissance des peuples arabes. Mais gageons que El Gueddafi ne s'est pas engagé aussi loin.